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exégèse des lieux communs

promet son travail. Que dis-je ? il l’a déjà donné, son travail, mais il n’a pas le moyen d’attendre l’époque fixée pour le règlement de son salaire.

Par malheur, le sollicité est un homme qui a des « principes arrêtés » et qui ne fait jamais d’avances d’argent. Ça, c’est invincible. On peut opérer un miracle, on ne surmonte pas un bourgeois de cette espèce. La rigidité d’un cadavre résiste moins à la Prière que la rigidité de ses principes.

Pourtant, comme l’insistance est extrême, que l’homme a l’air d’un désespéré et qu’on se trouve dans un endroit plutôt désert, il a renoncé provisoirement à parler de ses principes et se borne à répondre qu’il n’a pas de monnaie.

— Voulez-vous que je vous en fasse ? dit l’autre.

Proposition effrayante. Le Bourgeois croit entendre la voix d’un brigand qui le menace de mort. Une idée lui vient cependant. Il déclare son intention d’en faire lui-même au carrefour plein de lumières qu’on aperçoit au bout de l’avenue. Arrivé là avec son compagnon, il désigne celui-ci à deux sergots qui l’empoignent immédiatement.

Le malheureux couchera au poste, c’est sûr, et les pauvres petits qui attendent leur dîner s’en passeront en grinçant des dents, car cette chose effroyable existe. Celui qui n’a pas vu ni entendu les petits enfants grincer des dents ne connaît pas le fond de la douleur humaine.

L’homme juste, délivré et content de lui, prend