Page:Bloy - Exégèse des Lieux Communs, Mercure de France, 1902.djvu/250

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Le vrai, c’est qu’elle avait horriblement peur d’installer si près d’elle un étranger. Elle était l’avare classique, la vraie, celle qui adore le métal, qui le baise avec transport, qui souffre de ne pouvoir le manger comme un chrétien mange son Dieu dans le sacrement de l’Eucharistie. Le soir, on l’entendait verrouiller et cadenasser toutes ses portes, pendant un quart d’heure, et elle ne se couchait, disait-on, qu’après avoir fouillé partout avec son chien.

Ces précautions invoquent tellement les catastrophes que personne ne fut étonné d’apprendre que Mme Mouton avait été trouvée chez elle poignardée et presque décapitée. Ayant habitué son voisinage aux plus étranges lubies et aucun être humain n’étant autorisé à mettre le pied chez elle, on ne s’avisa d’un crime que fort tard et lorsque l’odeur de charogne se faisait déjà sentir. On la découvrit dans une chambre noire, étendue par terre auprès du molosse, l’un et l’autre aux trois quarts pourris.

L’argent avait été intégralement déménagé, et l’assassin, qui était, à coup sûr, un artiste, avait laissé sur la table une belle feuille de papier ministre où se lisaient, écrits d’une main très ferme, ces mots d’un refrain célèbre :

Dormez, dormez, ma belle,
Dormez, dormez toujours.