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exégèse des lieux communs

personne et dans aucun cas devient licite, et même professionnel, quand on est dans le commerce. La parole fameuse du grand Roi d’Esther : « La loi qui est faite pour tous n’est pas pour toi », paraît avoir été dite à l’intention des personnes qui sont dans le commerce, indistinctement.

Peu importe ce qui est vendu. Que ce soit du fromage, du vin, des chevaux, de la bijouterie, de la quincaillerie, des couronnes de mariées, de la charogne ou de la raclure de n’importe quoi, il suffit que cela se vende ou même que cela soit à vendre sans aucune chance d’être vendu et qu’il y ait des livres de commerce derrière, avec un comptoir ajouré d’une petite galerie faite au tour.

Le mensonge, le vol, l’empoisonnement, le maquerellage et le putanat, la trahison, le sacrilège et l’apostasie sont honorables, quand on est dans le commerce. « À plat ventre devant le client », disait un jour devant moi une patronne de café à un de ses garçons, « toujours à plat ventre, quand on est dans le commerce ». Cette recommandation, que dis-je ? ce précepte qui, dans d’autres circonstances eût été le plus bas étage de l’ignominie, avait là quelque chose d’augural et ressemblait à une vaticination. J’ai vu peu de gestes aussi majestueux que celui de cette caissière gonflée d’enthousiasme et la trompe en l’air, montrant impérieusement le sol, de son index tendu, dans l’attitude picturale d’une Élisabeth Tudor désignant le billot de Marie