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le désespéré


II


Cette lettre, aussi maladroite que dénuée d’illusions juvéniles, était adressée, rue de Babylone, à M. Alexis Dulaurier, l’auteur célèbre de Douloureux Mystère.

Les relations de celui-ci avec Marchenoir dataient de plusieurs années. Relations troublées, il est vrai, par l’effet de prodigieuses différences d’idées et de goûts, mais restées à peu près cordiales.

À l’époque de leur rencontre, Dulaurier, non encore entré dans l’étonnante gloire d’aujourd’hui, vivait obscurément de quelques nutritives leçons triées pour lui, avec le plus grand soin, sur le volet de ses relations universitaires. Il venait de publier un volume de vers byroniens de peu de promesses, mais suffisamment poissés de mélancolie pour donner à certaines âmes liquides le miracle du Saule de Musset sur le tombeau d’Anacréon.

Aimable et de verve abondante, — tel qu’il est encore aujourd’hui, — sans l’érésipèle de vanité qui le défigure depuis ses triomphes, son petit appartement du Jardin des Plantes était alors le lieu d’un groupe fervent et cénaculaire de jeunes écrivains, dispersés maintenant dans les entrecolonnements bréneux de la presse à quinze centimes. Le plus remarquable de tous était cet encombrant tsigane Hamilcar Lécuyer, que ses goujates vaticinations antireligieuses ont rendu si fameux.

Alexis Dulaurier, ami, par choix, de tout le monde