Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/170

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avant son départ, il se décida tout à coup, et voici son inconcevable lettre :

« Ma chère Véronique, je vous prie d’ajouter pour moi, à vos prières accoutumées, les oraisons pour les agonisants que vous trouverez dans votre eucologe. Mon corps se porte bien, mais mon esprit est dans l’angoisse de la mort et je vous suppose particulièrement désignée pour me secourir, puisque c’est à l’occasion de vous que j’endure cette épouvantable tribulation.

« Je suis éperdument amoureux de vous, voilà la vérité, et il a fallu que je m’éloignasse de Paris pour le sentir. Je me suis déterminé à vous l’écrire sur cette simple réflexion, que vous deviez le savoir. Les femmes sont clairvoyantes en pareil cas, et ce sentiment, inaperçu de moi jusqu’à ces derniers jours, vous l’avez certainement discerné depuis longtemps, si j’en juge par certaines prudences que je me rappelle, aujourd’hui, et qui tendaient manifestement à en retarder l’explosion. Mais quand même vous n’auriez rien compris ni rien deviné, j’ai pensé qu’il fallait encore me déclarer, ne fût-ce que pour écarter de nos relations le danger d’un tel mystère.

« Qu’allons-nous devenir ? Il n’y a que deux issues : vous me sauvez ou je vous perds. Quant à nous séparer, en admettant que ce fût possible, ce serait peut-être le plus funeste des dénouements. Vous avez mis autour de ma vie un surnaturel chrétien si capiteux, que je ne pourrais plus respirer une autre atmosphère.

« Or, je n’ai plus de courage du tout, mon âme est complètement démontée. Il va falloir vous condamner à une réserve inouïe, car je brûle sur moi-même,