Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/199

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de larmes coulant de ses yeux jusque sur le plancher, absolument immobile, à l’exception de sa gorge superbe, soulevée et palpitante par l’élan de son prodigieux espoir !

Des heures s’écoulèrent ainsi, leur sonnerie lointaine venant expirer en vain dans cette chambre immergée de dilection, où les atomes avaient l’air de se recueillir pour ne pas troubler le grand-œuvre de la charité.

Vers le matin, elle se releva enfin, brisée, frissonnante, baisa longuement les pieds de plâtre de l’image, s’enroula dans une couverture de laine, s’étendit sur son lit sans l’ouvrir, suivant son habitude, et s’endormit aussitôt en murmurant : — Doux Sauveur, ayez pitié de mon pauvre Joseph, comme il a eu pitié de moi !…

Lorsqu’un pâle rayon de soleil vint réveiller la pénitente, son premier regard fut, comme toujours, pour son crucifix et sa première pensée se traduisit par un éclat de joie.

— Ah ! monsieur Marchenoir, s’écria-t-elle, en sautant à bas de son lit, vous vous permettez d’être amoureux de Madeleine. Attendez un peu. Je vais me faire belle pour vous recevoir. Vous ne savez pas encore ce qu’une jolie femme peut inventer pour plaire à celui qu’elle aime. Vous allez l’apprendre tout de suite.

Alors, dénouant d’un geste sa magnifique chevelure, couleur de couchant, qui lui descendait jusqu’aux genoux, et dans laquelle quarante amants s’étaient baignés, comme dans un fleuve de flamme où renaissaient leurs désirs, elle la ramassa à poignée sur sa tête, d’une seule main et, de l’autre,