Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/252

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Cet Alcide Lerat, fort connu dans le monde des journaux, est une sorte de Benoît Labre littéraire, sans sainteté, dont le panégyrique posthume serait une besogne à faire trembler les décrasseurs d’auréoles les plus audacieux. Vivant exclusivement d’aumônes récoltées chez les gens de lettres, qu’il amuse de ses calomnies ou de ses médisances et qui le reçoivent dans des courants d’air, le drôle fétide, heureusement incapable de s’enrhumer, promène infatigablement sa carcasse, de l’un à l’autre crépuscule, — colportant ainsi, dans le pantalon d’un romancier qu’il a diffamé la veille, chez un rédacteur en chef qu’il vient de couvrir d’ordures et qui lui donnera peut-être vingt sous, les basses conjectures de son déshonorant esprit sur la vie privée d’un poète dont il a fini tous les chapeaux.

Il se venge par là d’être frustré de la première place, qu’il n’a jamais cessé de revendiquer depuis le succès de son fameux pamphlet : Ménage et Finances de Diderot. Ce factum sans talent, mais d’une érudition de détail exaspérante comme la vermine sur le pelage des adorateurs du philosophe, produisit, en effet, une vive émeute d’opinions dans les feuilles publiques, il y a trente ans. Les ouvrages postérieurs d’Alcide Lerat ne valent pas, il est vrai, la goutte d’encre qu’on dépenserait pour en écrire le titre. N’importe. Assuré d’être le plus immense génie des siècles, il pense de bonne foi que tout lui est dû et que sa seule présence est un honneur, une occasion de ravissement que rien ne pourrait payer.

— Je parle trop, dit-il, on prend des notes. En conséquence, il rançonne tant qu’il peut ses disciples, dont les largesses, quelque démesurées qu’on