Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/288

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encore plus que tes paroles, était inouïe. C’était à supposer que tu voyais, je ne sais quoi…

— Je vois très certainement, reprit alors Marchenoir, le mal horrible de ce monde exproprié de la foi chrétienne, et je ne me connais pas d’autres pensées, quels que puissent être les mots qui me servent à exprimer celle-ci, que je porte comme un couteau dans la gaîne de ma poitrine. C’est une passion si vraie, si poignante, que je finirai par devenir incapable de fixer mon attention sur n’importe quel autre objet. Mais cet incident me remet dans l’esprit que je ne vous ai pas encore complètement répondu, Véronique. Je vous ai fait remarquer la révoltante coalition des chrétiens et de leurs adversaires, toutes les fois qu’il s’agit de combattre l’ennemi commun, c’est-à-dire un homme tel que moi, téméraire à force d’amour et véridique sans peur. Puis, j’ai parlé de Louis Veuillot et de l’infortune de l’Église. Choses connexes. Laissons tout cela.

On vous a dit, n’est-ce pas, que mes violences écrites offensaient la charité. Je n’ai qu’un mot à répondre à votre théologien. C’est que la Justice et la Miséricorde sont identiques et consubstantielles dans leur absolu. Voilà ce que ne veulent entendre ni les sentimentaux ni les fanatiques. Une doctrine qui propose l’Amour de Dieu pour fin suprême, a surtout besoin d’être virile, sous peine de sanctionner toutes les illusions de l’amour-propre ou de l’amour charnel. Il est trop facile d’émasculer les âmes en ne leur enseignant que le précepte de chérir ses frères, au mépris de tous les autres préceptes qu’on leur cacherait. On obtient, de la sorte, une religion mol-