Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/340

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Chaudesaigues, les Vaudoré, les Tinville même, ont au moins la configuration extérieure de probables individus. Ils paraissent avoir écrit, et le public abruti qui les adore, pourrait justifier la bave de son culte, en désignant les fantômes de livres signés de leurs noms.

Beauclerc ne possède absolument rien que le sens commun, où il passe pour n’avoir jamais eu d’égal, et il ne serait rien du tout, s’il n’était le premier des pions. Mais c’est assez, paraît-il, pour la dictature des intelligences. Nestor de Tinville, avec toute sa sagesse, en est écrasé. C’est que Mérovée n’a besoin d’aucune morgue, ni d’aucune solennité pour accréditer sa parole. Il est tellement arrivé, qu’il lui suffit de se montrer et d’ânonner n’importe quoi, pour que l’allégresse éclate.

Dans les conférences publiques, qui ont si démesurément agrandi sa gloire, c’est une espèce de prodige, non constaté jusqu’à lui, que le néant du rabâchage qu’on vient applaudir ! Ce fait paradoxal et confondant pour des étrangers inavertis de notre effroyable dégradation, est tellement inouï qu’on ne peut le mentionner exactement sans avoir l’air d’un calomniateur. Le sens commun, dont la nature est d’étendre des tapis sous les pieds des foules, a ce privilège mythologique de devenir toujours plus fort en s’abaissant et de ramasser par terre ses victoires. Depuis qu’il existe, Beauclerc s’est rapetissé et abaissé, avec une constance de volonté qui eût suffi à un autre homme pour s’envoler par-dessus les astres, et il est parvenu si bas, qu’il a l’air de s’y perdre comme au fond des cieux ! Il plane à rebours, du rez-de-chaussée de l’abîme, et sa force attractive est