Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/407

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moyen… Nous serons séparés quelque temps. Qu’importe encore ?… Je souhaite du fond du cœur à ma bonne vieille tante, qui va, certainement, m’assommer beaucoup, toutes les prospérités imaginables, mais il m’est impossible, avec le meilleur naturel du monde, d’oublier que je suis son héritier et que sa fortune, un jour ou l’autre, nous appartiendra… Alors, Marchenoir, quelle existence avec Véronique, dans cette campagne délicieuse où nous aurons notre maison ! Quelle paix ! Quelle sécurité parfaite !… Mais encore, il faut vivre jusqu’à cette époque ignorée. Relève ton cœur ! La délivrance est proche, peut-être, et quand l’univers te rejetterait, tu as un fier ami, je t’en réponds !

Marchenoir, toujours sombre au fond de son attendrissement, répondit au consolateur :

— Il vaudrait mieux pour toi, mon dévoué Georges, que tu n’eusses jamais connu un homme si funeste à tous ceux qui l’ont aimé. Le malheur de certains individus est contagieux autant qu’incurable, et j’espère peu cette existence paisible que tu me montres dans l’avenir… Cependant, je ne veux pas te contrister de mes pressentiments noirs qui peuvent, après tout, me tromper. Il y aurait une cruauté lâche et bête à te payer ainsi du service inouï que tu viens de me rendre… Véronique va rentrer dans quelques instants. Nous ferons un déjeuner d’adieu et je t’accompagnerai à la gare… Ah ! mon vieux camarade, j’avais rêvé mieux que tout cela !… On m’a souvent accusé d’ingratitude, parce que je refusais de vautrer ma conscience dans certaines mains qui s’étaient entr’ouvertes pour moi, mais il est heureux, tout de même, que je sois né