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le désespéré

s’était empressée de le faire baptiser sous le vocable chrétien de Marie-Joseph. La volonté maternelle ayant été, par extraordinaire, la plus forte, on l’appela donc Joseph dans son enfance et le nom maléfique, inscrit au registre de l’état civil, ne fut exhumé que plus tard, en des heures de mécontentement solennel.

D’autres ont besoin des déconfitures ou des crimes de leur propre vie pour en sentir la nausée. Marchenoir, mieux doué, n’avait eu que la peine de venir au monde.

Il était de ces êtres miraculeusement formés pour le malheur, qui ont l’air d’avoir passé neuf cents ans dans le ventre de leur mère, avant de venir lamentablement traîner une enfance chenue dans la caduque société des hommes.

Il fut orné, dès son premier jour, de la déplorable faculté, trop rare pour qu’on ait pu l’observer, de porter, autour de son intelligence, comme une brume de choses anciennes et indiscernables, comme un halo de rêveries antérieures qui ne lui permirent longtemps qu’une vision réfractée du monde ambiant. Il eut le maillot réminiscent, si l’on veut concéder cette façon d’exprimer une chose naturellement indicible.

— Cette anomale disposition extatique, racontait-il, à trente ans, ce prenant despotisme du Rêve qui me faisait incapable de toute application, en me livrant à une perpétuelle stupeur, attira sur moi des tribulations et des épouvantes à défrayer un martyrologe d’enfants. Mon père, endurci par d’imbéciles préjugés sur l’éducation et résolument enfermé dans la forteresse inexpugnable d’un tout petit nombre