Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/84

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abîme, ondée de flammes, — avec une douceur qui était presque de la tendresse, il lui raconta sa pauvreté et son deuil immense ; il lui représenta, sans espoir d’être compris, l’impossibilité de nouer ou de ficeler deux existences telles que les leurs et son horreur, désormais insurmontable, de tout partage, aussi bien dans le passé que dans l’avenir.

À ce mot de partage, la belle fille redressa la tête et, sans vouloir se relever, croisant ses mains en suppliante sur les genoux du maître qu’elle s’était choisi :

— Pardonnez-moi de vous aimer, dit-elle, d’une voix singulièrement humble. Je sais que je ne vaux rien et que je ne mérite pas que vous fassiez attention à moi. Mais il ne peut y avoir de partage. Vous m’avez prise et je ne peux plus être qu’à vous, à vous seul. Les infamies de mon passé, je me les reproche comme des infidélités que je vous aurais faites… Vous êtes un homme religieux, vous ne me refuserez pas de sauver une malheureuse qui veut se repentir. Laissez-moi près de vous. Je ne vous demande pas même une caresse. Je vous servirai comme une pauvre domestique, je travaillerai et deviendrai peut-être une bonne chrétienne pour vous ressembler un peu. Je vous en supplie, ayez pitié de moi !

Jamais Marchenoir n’avait été si bien ajusté. Il ne se crut pas le droit de renvoyer au marché cette esclave qui lui paraissait s’offrir encore plus à son Dieu qu’à lui. Tous les dangers qui peuvent résulter pour un catholique exact d’une si prochaine occasion habituelle de manquer de continence, il les accepta,