Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/89

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tion, criait-il, je le veux bien, mais au moins, que je sache où ils sont, ceux que j’ai aimés !

Obsécration insensée d’une âme ardente ! Il aurait tout accepté, le diadème de crapauds, le mouvant collier de reptiles, les yeux de feu luisant au fond des arcades de vermine, les bras visqueux, tuméfiés, pompés par les limaces ou les araignées, et l’épouvantable ventre plein d’antennes et d’ondulements, — enfin des apparitions à le tuer sur place, — s’il eût été possible d’apprendre quelque chose, au prix de cette monstrueuse profanation de ses souvenirs !

Et maintenant, au bord de la fosse où, le prêtre étant parti, les pelletées de terre tombaient comme des pelletées de siècles sur le nouveau stagiaire de l’éternité, il ne trouvait, en fin de compte, d’autre refuge que la Prière. Cette âme lassée ne s’épuisait plus en sursauts et en convulsions inutiles. Catholique étonnamment fidèle, il s’arrangeait pour retenir le dogme tridentin de l’enfer interminable, en écartant l’irrévocabilité de la damnation. Il avait trouvé le moyen de mettre debout et de donner le souffle de vie à cette antinomie parfaite qui ressemblait tant à une contradiction dans les termes, quoiqu’elle devînt une opinion singulièrement plausible quand il l’expliquait. Mais la prière seule lui était vraiment bienfaisante, — l’infinie simplicité de la prière, par laquelle une vie puissante et cachée sourdait tout au fond de lui, par-dessous les plus ignorés abîmes de sa pensée…

Il resta longtemps à genoux, si longtemps que les fossoyeurs achevèrent leur besogne et, pleins d’étonnement, l’avertirent qu’on allait fermer la porte du