Page:Boccace - Décaméron.djvu/152

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la promesse faite, payé la bonne femme, il retourna le plus tôt qu’il put à Paris avec les objets en question, et avant le terme fixé.

« Là, ayant réuni en présence de Bernabo les marchands qui avaient assisté à la discussion et au pari, il dit qu’il avait gagné l’enjeu déposé entre leurs mains, pour ce qu’il avait fait ce dont il s’était vanté ; et pour montrer que c’était vrai, il décrivit d’abord la forme de la chambre et les peintures qui y étaient ; puis il montra les objets qu’il avait apportés avec lui, affirmant les avoir reçus de la dame. Bernabo avoua que la chambre était faite comme il le disait, et reconnut également que les objets avaient appartenus à sa femme, mais il dit qu’Ambrogiuolo pouvait avoir su par quelque domestique comment la chambre était faite, et avoir eu de même lesdits objets ; pour quoi, s’il n’avait pas autre chose à dire, cela ne lui semblait pas suffisant pour se déclarer vainqueur. À quoi, Ambrogiuolo dit : « — De vrai, cela devrait suffire ; mais puisque tu veux que j’en dise davantage, je le dirai. Je te dirai donc que madame Ginevra, ta femme, a sous le sein gauche un petit signe, autour duquel sont cinq ou six poils blonds comme l’or. — »

Quand Bernabo entendit cela, il sentit une telle douleur, qu’il lui sembla qu’on lui avait donné d’un couteau au cœur ; et le visage tout bouleversé, bien qu’il n’eût pas encore dit une parole, il donna assez manifestement à voir que ce qu’Ambrogiuolo disait était vrai, et après un moment, il dit : « — Seigneurs, ce que dit Ambrogiuolo est vrai ; et pour ce, puisqu’il a gagné, qu’il vienne quand il lui plaira, et il sera payé. — » Et, comme il avait dit, le jour suivant Ambrogiuolo fut entièrement payé.

« Bernabo, ayant quitté Paris, s’en vint à Gênes, l’esprit fortement courroucé contre la dame. Comme il était déjà proche de la ville, il ne voulut point y entrer, mais il s’arrêta à une vingtaine de milles, dans un de ses domaines, d’où il envoya à Gênes un de ses familiers en qui il avait grande confiance, avec deux chevaux et des lettres où il disait à la dame qu’il était de retour, et qu’elle vînt le rejoindre. Il ordonna en outre secrètement au familier lorsqu’il serait arrivé avec la dame dans un endroit qui lui paraîtrait propice, de la tuer sans miséricorde, et de revenir vers lui. Le familier arrivé à Gênes, ayant remis les lettres et rempli son message, fut accueilli par la dame avec une grande joie, et le lendemain matin, montée à cheval avec le familier, elle s’achemina vers sa maison de campagne. Tout en cheminant ensemble, et causant de choses et d’autres, ils parvinrent en un vallon profond et solitaire, couvert d’arbres et de rochers énormes. L’endroit paraissant favorable au