Page:Boccace - Décaméron.djvu/210

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toutes ces choses qui regardent les jeunes gens ? N’était-il pas aimé, tenu pour cher, volontiers vu par tous ? À cela vous ne direz pas non plus que non. Donc, comment, sur un mot d’un moine bête et envieux, avez-vous pu prendre contre lui une décision cruelle quelconque ? Je ne sais quelle erreur est celle des femmes qui fuient les hommes et les prisent peu, alors que voyant ce qu’elles sont elles-mêmes, et combien la noblesse que Dieu a donnée à l’homme est au-dessus de tout autre animal, elles devraient être glorieuses quand elles sont aimées de l’un d’eux, et devraient l’avoir pour souverainement cher, et s’ingénier avec toute sorte de soins à lui complaire, afin qu’il ne cessât jamais de les aimer ! Ce que vous avez fait mue par la parole d’un moine, lequel pour certain devait être quelque goulu, mangeur de tourtes, vous le savez. Et peut-être désirait-il se mettre lui-même à la place d’où il s’efforçait de chasser un autre. C’est donc là le péché que la divine justice, qui conduit à effet toutes ses opérations avec une juste balance, n’a pas voulu laisser impuni ; et comme vous vous êtes efforcée sans motif de vous ravir à Tedaldo, ainsi votre mari, sans juste motif, a été et est encore en péril à cause de Tedaldo, et vous en tribulation. Si vous voulez en être délivrée, voici ce qu’il vous faut promettre et surtout ce qu’il vous faut faire. S’il advient jamais que Tedaldo revienne ici de son long exil, vous lui rendrez votre faveur, votre amour, votre bienveillante familiarité, et vous le remettrez dans la même situation où il était avant que vous ayez cru sottement au moine extravagant. — »

« Le pèlerin avait achevé de parler, quand la dame qui recueillait attentivement ses paroles, pour ce que ses raisons lui paraissaient très vraies et qui, en l’écoutant, s’estimait en effet molestée pour ce péché, dit : « — Ami de Dieu, je reconnais bien vraies les choses dont vous parlez, et par vos démonstrations je vois en grande partie ce que sont les moines, tenus par moi jusqu’à présent pour des saints ; et sans aucun doute je reconnais que ma faute a été grande en agissant ainsi envers Tedaldo, et si cela se pouvait par moi, volontiers, je le rachèterais de la façon que vous avez dite ; mais comment cela se pourrait-il faire ? Tedaldo ne pourra jamais revenir ici : il est mort ; donc, ce qui ne se peut faire, je ne sais pourquoi il est besoin que je vous le promette. — » À quoi le pèlerin dit : « — Madame, Tedaldo n’est pas mort le moins du monde, à ce que Dieu me montre, mais il est vivant et sain, et en bon état pourvu qu’il ait votre faveur. — » La dame dit alors : « — Prenez garde à ce que vous dites ; je l’ai vu mort devant ma porte, frappé de plusieurs coups