Page:Boccace - Décaméron.djvu/223

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moines, qui venaient de dire matines, accoururent et reconnurent la voix de Ferondo et le virent déjà sorti du cercueil ; de quoi, épouvantés par la nouveauté du fait, ils se mirent tous à s’enfuir et s’en allèrent trouver l’abbé !

« Celui-ci feignant de se lever de prière, dit : « — Mes fils, n’ayez point peur ; prenez la croix et l’eau sainte, et venez derrière moi, et voyons ce que la puissance de Dieu veut nous montrer. — » Et cela fut fait. Ferondo était tout pâle, comme un homme qui était resté si longtemps sans voir le ciel, et il était sorti de son cercueil. Dès qu’il vit l’abbé, il courut se jeter à ses pieds et dit : « — Mon père, vos prières, selon qu’il m’a été révélé, celles de saint Benoît et de ma femme, m’ont tiré des peines du purgatoire et rappelé à la vie ; de quoi je prie Dieu qu’il vous donne le bon an et les bonnes calendes, aujourd’hui et toujours. — » L’abbé dit : « — Louée soit la puissance de Dieu. Va donc, mon fils, puisque Dieu t’a renvoyé ici, et console ta femme qui, depuis que tu avais passé de cette vie dans l’autre, a été en pleurs, et sois, à partir d’aujourd’hui, ami et serviteur de Dieu. — » Ferondo dit : « — Messire, il m’a bien été dit ainsi ; laissez-moi donc faire, car dès que je la verrai, je l’embrasserai, tant je lui veux du bien. — » L’abbé, resté avec ses moines, feignit d’avoir une grande admiration de cette aventure, et fit dévotement chanter le miserere. Ferondo retourna à son village, où tous ceux qui le voyaient s’enfuyaient, comme on a coutume de faire pour les choses effrayantes ; mais lui, les rappelant, affirmait qu’il était ressuscité. Sa femme avait également peur de lui. Mais quand les gens se furent un peu rassurés à son sujet, et virent qu’il était vivant, ils lui firent beaucoup de questions comme à un sage revenu de loin ; et il répondait à tous, et leur donnait des nouvelles des âmes de leurs parents, et faisait, de sa propre invention, les plus belles fables du monde sur ce qui se passe en purgatoire, et devant toute la population il raconta la révélation qui lui avait été faite par la bouche de Ragnolo Braghiello, avant qu’il ressuscitât. Pour quoi étant retourné chez lui avec sa femme, et rentré en possession de ses biens, il l’engrossa à son plaisir, et d’aventure il advint qu’après un temps convenable — suivant l’opinion des sots qui croient que la femme doit porter les enfants neuf mois — la dame accoucha d’un enfant mâle, qui fut appelé Benedetto Ferondi. Le retour de Ferondo et ses récits, chacun le croyant ressuscité, accrurent la renommée de sainteté de l’abbé. Quant à Ferondo, qui avait reçu de nombreux coups pour sa jalousie, comme s’il en eût été guéri, selon la promesse faite par l’abbé à la dame, il ne fut plus du tout jaloux par la suite. De quoi la dame satisfaite, vécut honnêtement avec