Page:Boccace - Décaméron.djvu/225

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« Or, il advint que, comme elle brûlait plus que jamais d’amour pour Beltram, pour ce qu’elle avait entendu dire qu’il était devenu un très beau jeune homme, la nouvelle lui arriva qu’il était resté au roi de France, par suite d’une tumeur qu’il avait eue dans la poitrine et qui avait été mal soignée, une fistule dont il avait très grand ennui et très grande douleur, et pour laquelle il n’avait encore pu trouver de médecin, bien qu’un grand nombre s’y fussent essayés, qui l’en eût pu guérir ; tous, au contraire, avaient empiré le mal : pour quoi le roi désespérant d’en guérir, ne voulait plus recevoir conseil ni aide de personne. De quoi la jeune fille fut contente outre mesure et pensa que, grâce à cette circonstance, non-seulement elle aurait une occasion légitime d’aller à Paris, mais que si la maladie du roi était ce qu’elle croyait, elle pourrait facilement arriver à avoir Beltram pour mari. C’est pourquoi comme elle avait jadis appris beaucoup de choses de son père, elle fit une poudre avec certaines herbes convenables à la maladie qu’elle pensait qu’avait le roi, monta à cheval, et s’en alla à Paris.

« Elle ne s’occupa point d’abord d’autre chose que de chercher à voir Beltram ; puis, parvenue devant le roi, elle le pria de lui montrer son mal. Le roi la trouvant belle et avenante jeune fille, ne sut pas le lui refuser, et le lui montra. Dès qu’elle l’eût vu, elle fut aussitôt certaine de pouvoir le guérir et dit : « — Monseigneur, quand il vous plaira, sans aucun ennui ou fatigue pour vous, j’ai espérance en Dieu de vous avoir en huit jours guérie de cette maladie. — » Le roi se moqua en lui-même des paroles de celle-ci, disant : « — Ce que les plus grands médecins du monde n’ont pu ni su faire, comment une jeune femme le pourrait-elle savoir ? — » L’ayant donc remerciée de sa bonne volonté, il répondit qu’il avait résolu de ne plus suivre conseil de médecin. À quoi la jeune fille dit : « — Monseigneur, vous dédaignez mon art parce que suis jeune et femme ; mais je vous rappelle que je ne médicamente pas avec ma science, mais avec l’aide de Dieu et avec la science de maître Gérard de Narbonne, lequel fut mon père et fameux médecin pendant sa vie. — » Le roi se dit alors en lui-même : « — Peut-être celle-ci m’est-elle envoyée par Dieu ; pourquoi ne pas mettre à l’épreuve ce qu’elle sait faire, puisqu’elle dit devoir me guérir en peu de temps sans ennui pour moi ? — » Et s’étant décidé à l’éprouver, il dit : « — Damoiselle, et si vous ne me guérissez pas, après m’avoir fait rompre ma résolution, que voulez-vous qu’il vous arrive ? — » « — Monseigneur — répondit la jeune fille — faites-moi garder, et si en huit jours je ne vous guéris pas, faites-moi brûler ; mais si je vous guéris, quelle récompense m’en reviendra-t-il ? — » À quoi le roi ré-