Page:Boccace - Décaméron.djvu/257

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que fût l’heure où il voudrait venir la voir, il serait le bienvenu ; qu’il la trouverait toute seule dans sa chambre, mais à la condition toutefois qu’il ne la délaisserait pas pour la Vierge Marie, qu’on lui avait dit lui vouloir beaucoup de bien, ainsi que cela paraissait du reste, puisque chaque fois qu’elle le voyait elle se mettait à genoux devant lui. Elle ajouta qu’il pouvait venir sous la forme qu’il voudrait, car elle n’aurait pas peur.

« Frère Alberto dit alors : « — Madame, vous parlez sagement, et j’ordonnerai tout pour le mieux avec lui selon que vous me dîtes. Mais vous pouvez me faire une grande grâce qui, à vous, ne vous coûtera rien, et cette grâce, la voici : consentez à ce qu’il vienne avec mon corps. Et écoutez en quoi vous me ferez ainsi une grâce : il me tirera l’âme du corps et la mettra en paradis, et il entrera en moi, et tout autant qu’il sera avec vous, autant mon âme restera en paradis. — » La dame peu fine, dit alors : « — Cela me plaît très bien ; je veux qu’en dédommagement des coups qu’il vous a donnés à mon occasion, vous ayez cette consolation. — » Frère Alberto dit alors : « — Donc faites que cette nuit il trouve la porte de votre demeure disposée de façon qu’il puisse entrer, pour ce que, venant sous un corps d’homme, il ne pourra entrer autrement que par la porte. — » La dame répondit que ce serait fait. Frère Alberto partit, et elle resta si transportée de joie que le cul ne lui touchait pas la chemise, et qu’il lui semblait qu’il se passerait mille ans avant que l’ange Gabriel vînt la trouver.

« Frère Alberto, pensant que cette nuit il lui faudrait faire office de cavalier et non d’ange, commença par se réconforter avec des confetti et d’autres bonnes choses, afin de ne pas être trop facilement jeté bas de son cheval. Ayant donc obtenu permission, dès qu’il fut nuit, il alla avec un de ses compagnons dans la maison d’une de ses amies, d’où il avait plus d’une fois pris sa course quand il allait courir les juments, et de là, quand le moment lui parut venu, il se rendit à la demeure de la dame, où ayant pénétré, il se transforma en ange avec les habits qu’il avait apportés, puis monta en haut et entra dans la chambre de la dame. Celle-ci, dès qu’elle vit cette chose toute blanche, s’agenouilla devant elle, et l’ange l’ayant bénie, la releva et lui fit signe d’aller au lit. Elle, empressée d’obéir, le fit prestement, et l’ange se coucha auprès de sa dévote. Frère Alberto était bel homme et robuste de corps, et sa personne se tenait bien sur ses jambes ; pour quoi se trouvant avec madame Lisetta qui était fraîche et tendre, il lui fit une autre contenance que son mari et vola pendant la nuit bon nombre de fois sans ailes ; de quoi elle se tint pour fortement contente ; et de plus, il