Page:Boccace - Décaméron.djvu/281

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su. Mais pourtant, puisqu’il en est ainsi, ce que je lui aurais fait volontiers, lui vivant, pour te contenter, c’est-à-dire honneur comme à mon gendre, que cela lui soit fait après sa mort. — » Et s’étant retourné vers ses enfants et ses parents, il leur ordonna d’apprêter pour Gabriotto des obsèques grandes et honorables. Sur ces entrefaites, les parents et les parentes du jeune homme, qui avaient su la nouvelle, et presque tous les hommes et toutes les femmes de la ville étaient accourus. Pour quoi, le corps ayant été placé au milieu de la cour sur le drap de l’Andreuola, avec toutes ses roses, il fut pleuré non seulement par elle et par ses parents, mais publiquement quasi par toutes les femmes de la ville et par un grand nombre d’hommes ; et comme si c’eût été non un plébéien mais un seigneur, il fut porté, de la cour publique jusqu’au lieu de sa sépulture, sur les épaules des plus nobles citadins, avec les plus grands honneurs.

« Quelques jours après, le Podestat, persévérant dans ce qu’il avait demandé, et messer Negro en ayant parlé à sa fille, celle-ci ne voulut rien entendre ; mais son père voulant en cela lui complaire, elle et sa servante se rendirent en un monastère très renommé pour sa sainteté, où elles se firent religieuses et où elles vécurent ensuite honnêtement un long espace de temps. — »



NOUVELLE VII


La Simone aime Pasquino ; ils se donnent rendez-vous dans un jardin. Pasquino s’étant frotté les dents avec une feuille de sauge, meurt. La Simone est prise, et voulant montrer au juge comment est mort Pasquino, elle se frotte les dents avec une feuille de sauge et meurt à son tour.


Pamphile libéré de sa nouvelle, le roi, sans montrer la moindre compassion pour l’Andreuola, regarda Émilia et lui fit signe qu’il lui serait agréable qu’elle succédât à ceux qui avaient déjà parlé. Celle-ci, sans mettre aucun retard, commença : « — Chères compagnes, la nouvelle de Pamphile m’amène à en dire une tout à fait semblable à la sienne sauf un point : de même qu’Andreuola perdit son amant dans un jardin, ainsi arriva-t-il à celle dont je dois vous conter l’histoire ; mais ayant été emprisonnée comme Andreuola, elle se délivra de ses juges non par sa force et son courage, mais par une mort soudaine. Et comme cela a été dit déjà entre nous, bien qu’Amour habite volontiers les demeures des nobles, il ne refuse pas de séjourner dans celles des pauvres ; au contraire, il y manifeste parfois sa force, tout comme il se fait craindre dans les plus riches en maître souverain.