Page:Boccace - Décaméron.djvu/284

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plice du feu pour punir une telle perversité, la malheureuse, déjà toute tremblante de douleur d’avoir perdu son amant et de peur du supplice réclamé par le Stramba, tomba soudain morte de la même façon que Pasquino, non sans grand étonnement des personnes présentes.

« Ô âmes fortunées, à qui, dans un même jour, il fut donné de goûter l’amour le plus fervent et de quitter la vie ! Plus heureuses encore si vous êtes allées ensemble en un même lieu, et si — s’aime-t-on dans l’autre vie ? — vous vous y aimez comme vous vous aimiez ici-bas ! Mais heureuse par dessus tout — du moins à notre avis, nous qui vivons après elle — l’âme de la Simone, dont l’innocence ne succomba point sous le témoignage du Stramba, de l’Atticciato et du Malagevole, cardeurs de laine ou de plus vile profession encore. En étant frappé de la même mort que son amant et en suivant dans l’autre monde l’âme de Pasquino tant aimée par elle, Simone eut une fin plus honnête et fut délivrée de leur infâme accusation.

« Le juge, stupéfait, comme tous ceux qui étaient là, de ce nouvel incident, et ne sachant que dire, resta longtemps immobile : puis, ayant recouvré ses esprits, il dit : « — Ceci montre que cette sauge est vénéneuse, ce qui n’arrive pas d’habitude à la sauge. Mais pour qu’elle ne puisse plus nuire de la même façon à personne, qu’on la coupe jusqu’aux racines et qu’on la jette au feu. — » Ce à quoi le gardien du jardin procédant en présence du juge, on n’eut pas plutôt abattu le buisson, que la cause de la mort des deux malheureux amants apparut à tous. Il y avait sous ce buisson de sauge un crapaud prodigieusement gros, dont on vit bien que le venin avait empoisonné la plante. Personne n’ayant envie de s’approcher du crapaud, on fit autour de lui un grand amas de bois sec et on le brûla avec le buisson de sauge ; et c’est ainsi que prit fin l’enquête de messer le juge sur la mort du malheureux Pasquino. Le corps de ce dernier, ainsi que celui de la Simone, encore tout enflés, furent ensevelis ensemble dans l’église de San Paolo par le Stramba, l’Atticciato, Guccio Imbratta et le Malagevole, qui, par aventure, en étaient paroissiens. — »