Page:Boccace - Décaméron.djvu/297

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une fiole d’eau renversée ? — » À quoi le maître dit : « — Femme, tu crois que cette eau était de l’eau claire ; mais il n’en est pas ainsi ; bien au contraire, c’était une eau travaillée pour faire dormir. — » Dès que la dame eut entendu cela, elle s’avisa que Ruggieri l’avait bue et que c’était pour cela qu’il lui avait paru mort, et elle dit : « — Maître, nous ne le savions pas ; pour ce faites-en d’autre. — » Le maître, voyant qu’il ne pouvait en être autrement, en fit faire une nouvelle.

« Peu après la servante qui, par ordre de la dame, était allée savoir ce que l’on disait de Ruggieri, revint et lui dit : « — Madame, tout le monde dit du mal de Ruggieri, et d’après ce que j’ai pu entendre, il ne se trouve aucun parent, aucun ami qui se soit dérangé ou qui veuille se déranger pour lui venir en aide, et l’on croit bien que demain le Stadico le fera pendre. Et, en outre, je veux vous dire une chose, car il me semble avoir compris comment il est arrivé dans la maison des usuriers, et écoutez comment : Vous connaissez bien le menuisier devant lequel était le coffre où nous le mîmes ; il était tout à l’heure avec un individu qui prétendait que le coffre lui appartenait, car il lui en réclamait le prix, et le menuisier disait qu’il n’avait pas vendu le coffre, mais qu’il lui avait été volé pendant la nuit. À quoi celui-ci disait : « — Il n’en est pas ainsi, mais tu l’as vendu aux deux jeunes usuriers, ainsi qu’ils me l’ont dit cette nuit, quand je l’ai vu chez eux au moment où Ruggieri a été pris. — » À quoi le menuisier disait : « — Ils mentent, pour ce que je ne le leur ai jamais vendu ; mais ce sont eux qui, la nuit dernière, me l’ont volé. Allons les trouver. — » Et ils sont allés d’un commun accord à la maison des usuriers, et moi je suis venue ici. Et, comme vous pouvez voir, je comprends bien de quelle façon Ruggieri a été transporté là où il a été trouvé ; mais comment il est ressuscité, je ne puis le voir. — » La dame, comprenant alors parfaitement comment la chose était arrivée, dit à la servante ce qu’elle avait appris du maître et la pria de l’aider à faire échapper Ruggieri en femme qui, si elle voulait, pouvait d’un seul coup délivrer Ruggieri et lui conserver l’honneur à elle. La servante dit : « — Madame, enseignez-moi comment, et je ferai volontiers tout ce qu’il faudra faire. — »

« La dame, aiguillonnée par sa passion, ayant avisé rapidement ce qu’il y avait à faire, en informa de tous points la servante. Celle-ci s’en alla tout d’abord trouver le médecin, et, pleurant, elle se mit à lui dire : « — Messire, je dois vous demander pardon d’une grande faute que j’ai commise envers vous. — » Le maître dit : « — Et qu’est-ce ? — » Et la servante, ne s’arrêtant pas de pleurer, dit :