Page:Boccace - Décaméron.djvu/33

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nous ne tombions pas dans ce péril auquel nous pourrions échapper si nous le voulions, — je ne sais s’il vous semble comme il me semble à moi-même — je pense qu’il serait très bon, ainsi que beaucoup d’autres ont fait avant nous et font encore, que nous sortions de cette cité, et, fuyant comme la mort les exemples déshonnêtes des autres, nous allions nous revêtir honnêtement dans nos maisons de campagne, dont chacune de nous possède un grand nombre, pour nous y livrer à toute allégresse, à tout le plaisir que nous pourrons prendre, sans dépasser en rien les bornes de la raison. Là, on entend les petits oiseaux chanter ; on voit verdoyer les collines et les plaines, et ondoyer les champs de blés non autrement que la mer ; on voit plus de mille espèces d’arbres, et l’on aperçoit plus librement le ciel qui, tout courroucé qu’il soit, ne nous refuse pas ses beautés éternelles, bien plus belles à contempler que les murs vides de notre cité. Là aussi, outre l’air qui est beaucoup plus pur, nous trouverons en bien plus grand nombre les choses qui sont nécessaires à la vie en ces temps malsains, tandis que les ennuis y seront bien moindres. Bien que les laboureurs y meurent comme font ici les citadins, le fléau y est d’autant moins fort, que les maisons et les habitants sont plus rares que dans la cité. D’un autre côté, si je vois bien, nous n’abandonnons ici personne. Nous pouvons dire, au contraire, que nous sommes plutôt abandonnées, puisque les nôtres, en mourant ou en fuyant la mort, comme si nous ne leur appartenions pas, nous ont laissées au milieu d’une telle affliction. Aucun reproche ne peut donc nous atteindre, pour avoir suivi un semblable conseil ; douleur et ennui, peut-être la mort, pourraient, si nous ne le suivions pas, nous advenir. C’est pourquoi, s’il vous en semble, je crois que nous ferons bien de prendre nos servantes, et, nous faisant suivre d’elles avec tout ce qui est nécessaire, aujourd’hui dans un endroit, demain dans un autre, nous nous livrerons aux plaisirs que la saison peut donner. Nous resterons ainsi jusqu’à ce que nous voyions — si auparavant nous ne sommes pas atteints par la mort — que le ciel ait mis fin à ces tristes choses. Et souvenez-vous qu’il ne s’oppose pas plus à ce départ honnête de notre part, qu’il ne s’oppose à ce que la plupart des autres restent pour vivre malhonnêtement. — »

Les autres dames, ayant écouté Pampinea, non-seulement louèrent son conseil, mais, désireuses de le suivre, avaient déjà commencé à se concerter sur la façon dont elles s’y prendraient, comme si, en se levant de là, elles devaient se mettre sur-le-champ en route. Mais Philomène, qui était la plus avisée, dit : « Mesdames, bien que ce qu’a exposé Pampinea soit très bien dit, ce n’est pas une raison pour