Page:Boccace - Décaméron.djvu/340

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la jeune fille usa-t-elle de tous les moyens pour se désengrosser, contre l’ordre de la nature ; mais elle ne put y réussir. Pour quoi, Pietro craignant pour sa vie, résolut de fuir et le lui dit. En apprenant cette résolution, elle dit : « — Si tu pars, je me tuerai sans la moindre hésitation. — » À quoi Pietro qui l’aimait beaucoup dit : « — Comment veux-tu, ma chère femme, que je reste ici ? Ta grossesse découvrira notre faute ; toi, on te pardonnera facilement ; mais moi, misérable, je serai celui qui supportera la peine de ma faute et de la tienne. — « À quoi la jeune fille dit : « — Pietro, ma faute se saura bien ; mais sois certain que la tienne, à moins que tu le dises toi-même, ne se saura jamais. — » Pietro dit alors : « — Puisque tu me promets qu’il en sera ainsi, je resterai ; mais songe à me bien garder ta promesse.

« La jeune fille qui avait caché sa grossesse le plus qu’elle avait pu, voyant que les proportions que prenait son corps ne lui permettaient pas de la cacher plus longtemps, l’avoua un jour à sa mère avec force larmes, la suppliant de la sauver. La dame affligée outre mesure, lui dit force injures, et voulut savoir d’elle comment la chose était arrivée. La jeune fille, afin qu’il ne fût fait aucun mal à Pietro, composa une fable, et conta la chose à sa guise. La dame la crut, et pour cacher la faute de sa fille, elle l’envoya à une de leurs maisons de campagne. Là, le temps des couches étant venu, la jeune fille criant comme le font les femmes en pareille circonstance, et sa mère ne prévoyant pas que messer Amerigo qui ne venait presque jamais en cet endroit, y dût justement venir, il arriva que celui-ci, revenant d’oiseler et passant le long de la chambre où criait sa fille, s’étonna, entra soudain et demanda ce qu’il y avait. La dame voyant son mari venir ainsi à l’improviste, se leva fort émue, et lui raconta ce qui était arrivé à leur fille. Mais lui, moins prompt que la dame à croire ce qu’on lui disait, dit qu’il ne devait pas être vrai qu’elle ignorât de qui elle était grosse, et déclara qu’il voulait tout savoir ; qu’en le disant sa fille pourrait recouvrer son affection ; sinon, qu’elle se préparât sans espoir de pardon à mourir. La dame s’efforça le plus qu’elle put de faire que son mari se contentât de ce que sa fille avait dit ; mais son insistance ne servit à rien. Il entra en une telle fureur, qu’il courut, l’épée nue à la main, vers sa fille qui pendant tous ces discours avait mis au monde un enfant mâle, et dit : « — Ou tu vas dire de qui tu as engendré cet enfant, ou tu vas mourir sur le champ. — » La jeune fille, craignant la mort, trahit la promesse faite à Pietro, et avoua ce qui s’était passé entre elle et lui.

« En entendant cela, le chevalier entra dans une telle fureur, qu’à peine il put se retenir de la tuer ; mais après