Page:Boccace - Décaméron.djvu/370

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Catalan, nommé messer Dego della Ratta, maréchal du roi Robert. Comme ce gentilhomme était très beau de sa personne et plus que grand amateur de femmes, il advint que parmi les autres dames florentines une surtout lui plut ; c’était une très belle dame, nièce d’un frère dudit évêque. Le maréchal ayant appris que son mari, bien que d’une bonne famille, était fort avare et mauvais homme, convint avec lui de lui donner cinq cents florins d’or s’il voulait le laisser coucher une nuit avec sa femme. Pour quoi, ayant fait dorer des popolins d’argent, qui avaient cours alors, et ayant couché avec la femme, bien que ce fût contre le gré de celle-ci, il les lui donna. Ce fait ayant été su de tous, le malhonnête homme en fut pour son dommage et son ridicule. Quant à l’évêque, en homme sage, il fit semblant de ne rien savoir de cette aventure.

« Sur ces entrefaites, le maréchal et l’évêque se fréquentant beaucoup, il advint que le jour de Saint-Jean, chevauchant à côté l’un de l’autre et voyant un grand nombre de dames par la rue où l’on court le palio, l’évêque aperçut une jeune dame que la présente peste vient de nous enlever, nommée Monna Nonna de’ Pulci, cousine de messer Alessio Rinucci, et que vous devez toutes avoir connue. C’était alors une fraîche et belle jeune femme, bien parlant et d’un grand cœur ; elle attendait depuis un moment son mari à la porte Saint-Pierre. L’évêque la montra au maréchal, et quand il fut près d’elle, ayant mis la main sur l’épaule du maréchal, il dit : « — Nonna, que te semble de celui-ci ? Croirais-tu pouvoir en faire la conquête ? — » Il sembla à la Nonna que ces paroles entamaient un peu son honneur et étaient de nature à la compromettre dans l’esprit de ceux — et ils étaient nombreux — qui les avaient entendues. Pour quoi, sans essayer de se justifier, mais pour rendre coup pour coup, elle répondit promptement : « — Messire, peut-être ferait-il ma conquête, mais je voudrais de la bonne monnaie. — » En entendant ces mots, le maréchal et l’évêque se sentant pareillement atteints, l’un comme auteur de la tromperie faite au neveu de l’évêque, l’autre comme frappé en la personne de la nièce de son propre frère, s’en furent tout honteux, sans se regarder et sans plus rien dire de tout le jour. Ainsi donc, la jeune femme ayant été piquée, il ne lui était point défendu de piquer les autres par un bon mot. — »