Page:Boccace - Décaméron.djvu/384

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l’autre Bagio Pizzini. Après qu’ils eurent quelque peu ri entre eux de la relique de frère Cipolla, bien qu’ils fussent de ses amis et de sa compagnie, ils complotèrent de lui jouer un tour à propos de cette plume. Ayant appris que frère Cipolla déjeunait ce matin-là au château avec un de ses amis, dès qu’ils le surent à table, ils descendirent dans la rue et se rendirent à l’auberge où le moine était descendu, après être convenu que Bagio lierait conversation avec le valet de frère Cipolla, et que Giovanni chercherait la plume parmi les objets appartenant au moine, et l’enlèverait pour voir ce qu’il dirait au peuple à ce sujet. Frère Cipolla avait un valet que d’aucuns appelaient Guccio Balena, et d’autres Guccio Imbratta ; d’autres enfin Guccio Porc. Ce valet était si laid, que Lippo Topo n’en a jamais véritablement fait de semblable. Frère Cipolla en faisait souvent des gorges chaudes avec sa compagnie, et disait en parlant de lui : « — Mon valet possède en lui neuf choses telles que si une seule de ces choses avait existé chez Salomon, Aristote ou Sénèque, elle aurait suffi pour gâter toute leur vertu, tout leur sens, toute leur sainteté. Pensez donc quel homme il doit être, puisqu’en ayant neuf, il n’a ni vertu, ni sens, ni sainteté. — » Et comme on lui demandait parfois quels étaient ces neuf choses, il les avait mises en vers et il répondait : « — Je vais vous le dire : il est lent, souillard et menteur ; négligent, désobéissant et médisant ; sans soin, sans esprit, sans conduite. De plus, il a bien d’autres vices qu’il vaut mieux taire. Et ce qu’il y a de plus risible chez lui, c’est que partout il veut prendre femme et louer une maison. Parce qu’il a la barbe forte, noire et brillante, il se croit si beau et si plaisant, qu’il s’imagine que toutes les femmes qui le voient s’amourachent de lui ; et si on le laissait faire, il courrait après jusqu’à en perdre sa ceinture. Il est vrai qu’il m’est d’un grand aide, pour ce qu’il n’est personne qui ne me parle si secrètement qu’il n’en veuille sa part ; et s’il arrive qu’on me demande quelque chose, il a si grand peur que je ne sache pas répondre, qu’il répond aussitôt oui et non, comme il le juge à propos. — »

« Frère Cipolla, l’ayant laissé à l’auberge, lui avait commandé de bien prendre garde que personne ne touchât à ses bagages, et spécialement à ses besaces, pour ce qu’en celles-ci étaient les choses sacrées. Mais Guccio Imbratta, qui était plus désireux de rester à la cuisine que le rossignol sur les vertes branches, surtout s’il y sentait quelque servante, ayant vu dans la cuisine de l’aubergiste une grasse et grosse maritorne petite et mal faite, avec une paire de tétons qui ressemblaient à deux paniers à fumier et un visage qui rappelait les Baronci, toute suante, graisseuse et enfumée,