Page:Boccace - Décaméron.djvu/392

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pas eu autre chose à faire aurait pu en compter les grains s’il l’eût voulu. Et ce n’était pas seulement le fond que laissait voir l’eau limpide, mais des poissons courant çà et là en telle quantité, qu’outre le plaisir c’était une merveille. Le lac n’avait pas d’autre rive que le pré qui étalait tout autour d’autant plus de beauté qu’il recevait plus d’humidité. L’eau surabondante était reçue dans un autre petit canal par lequel, sortant du vallon, elle s’échappait en courant vers les parties plus basses.

« Arrivées en cet endroit les jeunes dames, après avoir regardé partout, admirèrent fort le site. Puis, comme la chaleur était grande, et voyant devant elle cette jolie nappe d’eau où il n’y avait pas à craindre qu’elles fussent vues, elles résolurent de se baigner. Ayant ordonné à leur servante de demeurer sur le chemin par lequel elles étaient venues, afin de guetter si personne ne venait et de les avertir au besoin, elles se déshabillèrent toutes les sept et entrèrent dans l’eau qui ne cachait pas plus la blancheur de leur corps qu’un verre transparent ne ferait d’une rose vermeille. Y étant toutes entrées, et l’eau n’en étant aucunement troublée, elles se mirent çà et là à poursuivre de leur mieux les poissons qui avaient fort à faire de se cacher, et à essayer de les prendre avec les mains. Quand, au milieu de leurs joyeux ébats, elles en eurent pris quelques-uns, et qu’elles furent restées quelque temps dans l’eau, elles en sortirent, se revêtirent, et sans pouvoir plus louer cet endroit qu’elles ne l’avaient déjà fait, le temps leur paraissant venu de regagner la maison, elles se mirent en chemin d’un pas tranquille, ne cessant de parler de la beauté de ce vallon. Arrivées de très bonne heure au palais, elles trouvèrent les jeunes gens qui jouaient encore à la place où elles les avaient laissés. Sur quoi, Pampinea leur dit en riant : « — Aujourd’hui, ma foi, nous vous avons trompés. — » « — Et comment ? — dit Dioneo — commencez-vous donc d’abord par des actes avant les paroles ? — » Pampinea dit : « — Oui, mon seigneur. — » Et elle lui raconta tout au long d’où elles venaient, comment était fait l’endroit, à quelle distance il était et ce qu’elles y avaient fait. Le roi, entendant parler de la beauté de l’endroit, et étant désireux de le voir, fit sur le champ commander le souper. Après que tous eurent soupé à leur grand plaisir, les trois jeunes gens, suivis de leurs laquais, s’en allèrent à cette vallée, et après avoir tout vu, aucun d’eux n’y étant jamais venu, ils l’admirèrent comme une des plus belles choses du monde. Puis, quand ils se furent baignés et rhabillés, comme il se faisait tard, ils retournèrent à la maison où ils trouvèrent les dames qui dansaient une danse sur un air que chantait la Fiammetta. La danse finie, ils se mirent à causer avec elle de la Vallée des