Page:Boccace - Décaméron.djvu/401

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homme — se trouvant avec Peronella, le mari, qui ne devait pas rentrer de tout le jour, revint au bout de peu de temps à la maison. Trouvant la porte fermée, il frappa, et après avoir frappé il se dit en lui-même : « — Mon Dieu, sois à jamais loué ; car bien que tu m’aies fait pauvre, tu m’as au moins récompensé en me donnant pour femme une brave et honnête jeune fille. Voyez comme elle a tout de suite fermé la porte, dès que j’ai été sorti, afin que personne ne pût entrer et me causer de l’ennui ! — »

« Peronella, ayant reconnu son mari à sa manière de frapper, dit : « — Hélas ! mon Giannello, je suis morte, et je ne sais ce que cela veut dire, car il ne revient jamais à cette heure ; peut-être t’a-t-il vu quand tu es entré. Mais, pour l’amour de Dieu, quoi qu’il en soit, entre dans ce cuvier que tu vois là ; puis j’irai lui ouvrir et nous verrons ce que cela veut dire de revenir si matin à la maison. — » Giannello entra lestement dans le cuvier, et Peronella étant allée à la porte, ouvrit au mari et lui dit d’un air de mauvaise humeur : « — Qu’est-ce qu’il y a de nouveau, que tu reviens de si bonne heure à la maison ce matin ? À ce qu’il me semble tu ne veux rien faire aujourd’hui, que je te vois revenir avec tes outils en main ; et si tu fais ainsi, de quoi vivrons-nous ? où prendrons-nous du pain ? Crois-tu que je souffrirai de te voir mettre en gage mes jupes et mes autres nippes ? Moi qui ne fais, le jour et la nuit, que filer, tellement que la chair m’en tombe des ongles, pour pouvoir au moins avoir assez d’huile pour faire brûler notre lampe ! Mari, mari, il n’y a pas de voisine qui ne s’étonne et ne se moque de moi, à cause de la grande peine que j’endure ; et toi, tu me reviens à la maison les mains pendantes, quand tu devrais être à travailler ! — » Cela dit, elle se mit à pleurer et à dire de nouveau : « — Hélas ! malheureuse, en quelle male heure suis-je née, à quelle extrémité suis-je venue ! J’aurais pu épouser un jeune homme si bien, et je n’ai pas voulu pour prendre celui-ci qui ne pense pas le moins du monde à la femme qu’il a chez lui ! Les autres se donnent du bon temps avec leurs amants, et il n’y en a pas qui n’en ait deux et même trois ; et elles mènent joyeuse vie, et elles font prendre à leurs maris la lune pour le soleil. Et moi, malheureuse, parce que je suis bonne et que je ne me soucie pas de ces sortes de choses, je souffre mal et male heure. Je ne sais pas pourquoi je n’en prends pas de ces amants, comme font les autres ; j’en trouverais bien un, car il n’en manque pas de beaux et bien faits qui m’aiment et qui me veulent du bien, et qui m’ont envoyé offrir de grosses sommes, des robes ou des bijoux. Mais jamais je n’ai consenti à les entendre, pour ce que je ne suis pas fille de femme à cela. Et toi, tu