Page:Boccace - Décaméron.djvu/407

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je vais voir si tu peux y aller, et je t’appellerai. — » Frère Renauld, qui avait tout entendu et s’était habillé en toute hâte, avait pris l’enfant dans ses bras, et les choses étant disposées à son gré, il appela : — Eh ! commère, n’entends-je pas là-bas le compère ? — » L’imbécile répondit : « — Oui, messire. — » « — Donc — dit le moine — venez ici. — » Le nigaud y alla ; sur quoi, frère Renauld dit : « — Vous voyez votre fils sain et sauf par la grâce de Dieu ; il y a un moment, j’ai cru que vous ne le verriez pas vivant à vêpres ; vous ferez mettre une image de cire, de sa grandeur, en l’honneur de Dieu, devant la statue de messer saint Ambroise, par les mérites duquel Dieu vous a fait cette grâce. — » L’enfant, voyant son père, courut à lui et lui fit fête, comme font les petits enfants, et le père, l’ayant pris dans ses bras, se mit à l’embrasser en pleurant, comme s’il venait de le retirer du tombeau, et à rendre grâce à son compère qui le lui avait guéri.

« Le compagnon de frère Renauld, qui avait appris à la jeune servante non pas un, mais au moins quatre Pater noster, et lui avait donné une petite bourse de soie blanche qu’il avait reçue lui-même d’une dame veuve, l’une de ses dévotes, entendant le niais de mari frapper à la porte, était venu tout doucement jusqu’à un endroit d’où il pouvait voir et entendre ce qui se passait ; voyant que tout s’était bien terminé, il descendit, et entra dans la chambre en disant : « — Frère Renauld, j’ai dit en entier les quatre prières que vous m’aviez ordonné de dire. — » À quoi frère Renauld dit : « — Mon frère, tu as bonne haleine, et tu as bien fait. Pour moi, quand mon compère est arrivé, je n’en avais encore dit que deux ; mais Dieu, ayant en égard ta peine et la mienne, nous a fait la grâce de guérir l’enfant. — » Sur ce, le brave mari fit venir du bon vin et des confetti, et en fit les honneurs au compère et à son compagnon qui en avaient meilleur besoin que d’autre chose. Puis, étant sorti de la maison avec eux, il les recommanda à Dieu. Enfin, ayant fait faire sans retard l’image de cire, il la fit mettre avec les autres devant la statue de saint Ambroise, mais pas celui de Milan. — »