Page:Boccace - Décaméron.djvu/431

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chand et veut passer pour l’être ; qui devait être plus sobre qu’un religieux et plus honnête qu’une demoiselle, il se passe peu de soirs qu’il n’aille s’enivrer par les tavernes, courant les mauvaises femmes, tantôt celle-ci, tantôt celle-là ; pour moi, il faut que je l’attende jusqu’à minuit et parfois jusqu’au matin, comme vous venez de me trouver. Je suis sûre, qu’étant complètement ivre, il est allé se coucher avec une de ces tristes créatures, et qu’en se réveillant il lui a trouvé une ficelle attachée au pied, et qu’alors il lui a fait toutes les belles prouesses qu’il dit : il est retourné près d’elle, l’a battue et lui a arraché les cheveux, et, comme il n’était pas encore bien revenu en lui-même, il a cru, et je suis persuadée qu’il croit encore, m’avoir fait tout cela à moi. Et si vous l’examinez bien au visage, il est encore à moitié ivre. Mais pourtant, quoi qu’il ait dit de moi, je veux que vous n’en teniez pas plus compte que de ce que dit un homme ivre, et puisque je lui pardonne, je veux que vous lui pardonniez aussi. — »

La mère de la dame, entendant cela, commença à crier et à dire : « — Par la croix de Dieu, ma fille, cela ne devrait pas se passer ainsi ; il faudrait, au contraire, tuer ce chien fastidieux et ingrat, car il n’a jamais été digne d’avoir une jeunesse comme toi. Voyez un peu ! il n’aurait pas fait autrement s’il t’avait trouvée dans la fange ! Puisse-t-il désormais vivre à la male heure, si tu dois rester sous le coup des propos d’un mauvais marchand de fressure d’âne ! Ils viennent tous ici de leur village, sortis de la canaille et vêtus de gros drap de Romagne, les chausses tombantes et la plume au cul, et dès qu’ils ont trois sols, il leur faut pour femmes les filles des gentilshommes et des nobles dames ; ils se font faire des armoiries et ils disent : je suis de telle famille ; ceux de ma maison ont fait ceci et cela. Que je voudrais donc que mes fils n’eussent point suivi mes avis, car ils te pouvaient si honorablement faire entrer dans la maison des comtes Guidi, avec une petite dot ! Mais ils ont voulu te donner cette belle joie, à savoir que, tandis que tu es la meilleure fille de Florence et la plus honnête, ton mari n’a pas eu honte de venir dire en plein minuit que tu es une putain, comme si nous ne te connaissions pas ! Mais par ma foi en Dieu, si l’on voulait m’en croire, on lui donnerait une telle correction qu’il s’en repentirait. — » Et, s’étant tournée vers ses fils, elle dit : « — Mes fils, je vous disais bien que cela ne pouvait pas être. Avez-vous entendu comment votre cher beau-frère traite votre sœur ? Mauvais marchand de quatre deniers qu’il est ! Si j’étais de vous, après ce qu’il a dit d’elle et ce qu’il a fait, je ne me tiendrais pas pour