Page:Boccace - Décaméron.djvu/440

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yeux. De moi, je ne veux rien dire, mais je me laisserais écorcher avant même d’en avoir la pensée, loin par conséquent de le faire en votre présence. Pour quoi, la faute de cette apparence doit certainement provenir du poirier ; pour ce que le monde entier ne m’aurait pas dissuadé que vous n’ayez été là, avec votre femme, goûtant tous deux le plaisir charnel, si je ne vous avais entendu dire à vous qu’il vous avait semblé que j’eusse fait ce à quoi je n’ai certes jamais songé, loin de l’avoir jamais fait. »

« Après qu’il eut ainsi parlé, la dame qui se montrait fort courroucée, s’étant levée, se mit à dire : « — Soit à la male aventure si tu m’as crue si peu avisée que, voulant me livrer aux tristes choses que tu dis avoir vues, je serais venu les faire devant tes yeux. Sois sûr que si le désir m’en prenait, je ne viendrais point ici ; mais je saurais bien m’enfermer dans une de nos chambres de façon à m’assurer que tu ne le saurais jamais. — » Nicostrate à qui semblait vrai ce qu’un et l’autre disaient, à savoir qu’ils ne se seraient pas laissés entraîner à commettre un pareil acte devant lui, laissant de côté les reproches, se mit à parler de la nouveauté du fait et du miracle de la vue qui changeait ainsi les choses pour quiconque montait sur le poirier. Mais la dame qui se montrait encore courroucée de l’opinion que Nicostrate avait eue un instant sur elle, dit : « — Vraiment, ce poirier ne fera plus désormais de ces hontes ni à moi ni à aucune autre femme, si je peux ; pour ce, Pirrus, cours et va chercher une scie, et venge-nous d’un seul coup toi et moi en le coupant, quoiqu’il vaudrait peut-être mieux d’en donner sur la tête à Nicostrate qui, sans aucune considération, s’est laissé si promptement éblouir les yeux de l’intellect ; car bien qu’à ceux que tu portes à la tête il parût comme tu le dis, pour aucune raison tu ne devais dans ta pensée consentir à croire que c’était vrai. — »

« Pirrus alla promptement chercher une scie et coupa le poirier. Dès que la dame l’eut vu par terre, elle dit à Nicostrate : « — Puisque je vois abattu l’ennemi de mon honneur, ma colère s’en est allée. — » Et elle pardonna généreusement à Nicostrate qui l’en priait, lui imposant pour condition de ne plus jamais la soupçonner, elle qui l’aimait plus que soi-même, d’une pareille chose. Sur quoi, le malheureux mari bafoué s’en revint avec elle et avec son amant au palais où, depuis ce jour, Pirrus et Lidia prirent à leur aise plaisir l’un et l’autre. Dieu nous en accorde autant à nous ! — »