Page:Boccace - Décaméron.djvu/451

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court à la ravine, et mener une ronde ou une bourrée, quand besoin était, avec un beau mouchoir à la main. Aussi messer le curé s’en amouracha si fort, qu’il en devenait fou, et qu’il rôdait tout le long du jour pour tâcher de la voir. Et quand, le dimanche matin, il la voyait dans l’église, il disait un kyrie et un sanctus, s’efforçant de paraître un maître en l’art de chanter, alors qu’on l’eût pris pour un âne qui brayait. Au contraire, quand il ne la voyait pas il passait sur les offices très légèrement. Il savait toutefois si bien faire, que Bentivegna del Mazzo ne s’en apercevait point, ni aucun de ses voisins. Pour mieux gagner l’amitié de Monna Belcolore, il lui faisait de temps à autre un petit présent, lui envoyant tantôt un bouquet d’ails frais, dont il avait les plus beaux spécimens de tout le pays dans son jardin qu’il cultivait de ses mains, tantôt un panier de petits pois, un bouquet d’oignons nouveaux ou d’échalottes ; et, quand il voyait le moment favorable, après l’avoir guettée au passage, il lui donnait une bonne bourrade d’amitié, et elle, faisant la sauvage, feignait de ne pas s’apercevoir de son jeu, et se renfermait dans une attitude sévère ; pour quoi, messer le curé ne pouvait en venir à ses fins.

« Or, il advint un jour que le curé, flânant çà et là dans la rue sur l’heure de midi, rencontra Bentivegna del Mazzo sur un âne et portant devant lui force provisions ; l’ayant abordé, il lui demanda où il allait. À quoi Bentivegna répondit : « — Ma foi, messire, en bonne vérité je vais jusqu’à la ville pour une affaire, et je porte tout cela à messer Bonaccorri da Ginestreto, afin qu’il m’aide pour je ne sais quoi dont me requiert le juge de l’édifice dans une assignation à comparaître qu’il m’a envoyée par son procureur. — » Le curé, tout joyeux, dit : « — Tu fais bien, mon fils ; or, va avec ma bénédiction, et reviens vite ; et si tu vois Lapuccio ou Naldino, n’oublie pas de leur dire qu’ils me rapportent ces attaches pour mes fléaux. — » Bentivegna dit que cela serait fait, et pendant qu’il s’en allait vers Florence, le curé pensa que c’était le moment d’aller trouver Belcolore et de tenter l’aventure. S’étant mis le chemin entre les pieds, il ne s’arrêta que lorsqu’il fut arrivé chez elle, et, entré dans la maison, il dit : « — Dieu envoie céans le bien qui est ailleurs ! — » La Belcolore qui était montée au grenier, l’ayant entendu, dit : « — Oh ! messire, soyez le bien venu ; qu’allez-vous faire par cette chaleur ? » Le curé répondit : « — Si Dieu me favorise, je venais passer un moment avec toi, pour ce que j’ai trouvé ton homme qui allait à la ville. — » La Belcolore, étant descendue du grenier, s’assit et se mit à trier des graines de choux que son mari avait battues peu auparavant. Le curé se mit à lui dire : « — Eh ! bien, Belcolore, me dois-tu toujours faire