Page:Boccace - Décaméron.djvu/455

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dépens en lui faisant quelque farce, ou en lui faisant accroire quelque chose d’étrange. Un jour qu’il l’avait trouvé par aventure dans l’église de Saint-Jean, occupé à regarder les peintures et les bas-reliefs du tabernacle qui est sur l’autel de la susdite église, lesquels y avaient été mis depuis peu, il pensa que le lieu et le moment étaient opportuns pour ses projets. Ayant informé un de ses compagnons de ce qu’il entendait faire, tous deux s’approchèrent de l’endroit où Calandrino était assis tout seul, et feignant de ne pas le voir, ils se mirent à parler des vertus de certaines pierres, sujet sur lequel Maso raisonnait aussi sûrement que s’il avait été un grand et profond joaillier. Calandrino prêta l’oreille à ces raisonnements, et voyant qu’il n’y avait pas d’indiscrétion, il se leva et se joignit aux deux compagnons, ce qui plut fort à Maso. Comme il poursuivait ses théories, Calandrino lui demanda où se trouvaient ces pierres si remplies de vertu. Maso répondit que la plupart se trouvaient à Berlinzone, ville des Basques, en un pays qui s’appelait Bengodi, où l’on liait les vignes avec des saucisses et où l’on avait une oie pour de l’argent et un oison par-dessus le marché ; qu’il y avait une montagne toute de fromage de parmesan râpé, sur laquelle demeuraient des gens qui n’étaient pas occupés à autre chose qu’à faire des macarons et des ravioli et à les faire cuire dans du jus de chapon, puis, qu’ils les jetaient au bas de la montagne où ceux qui en prenaient le plus en avaient davantage. Tout près de là, courait un petit ruisseau de vin blanc, du meilleur qui se soit jamais bu, et où n’entrait pas une goutte d’eau. « — Oh ! — dit Calandrino — c’est là un bon pays ; mais, dis-moi, que fait-on des chapons que ces gens cuisent ? — » Maso répondit : « — les Basques les mangent tous. — » Calandrino dit alors : « — Y es-tu jamais allé ? — » À quoi Maso répondit : « — Tu demandes si j’y suis jamais allé ? J’y suis allé aussi bien une fois que mille. — » Calandrino dit alors : « — Et combien de milles y a-t-il d’ici ? — » Maso répondit : « — Il y en a plus de millante, qui toute la nuit chante. — » Calandrino dit : « — Ce doit donc être plus loin que les Abbruzzes. — » « — Oui bien — répondit Maso — c’est un peu plus loin. — »

« Calandrino, toujours simple, voyant que Maso disait tout cela d’un air impassible et sans rire, le croyait comme on pourrait croire à la vérité la plus manifeste et le tenait pour vrai ; sur quoi, il dit : « — C’est trop loin pour moi ; mais si ç’avait été plus près, je t’assure bien que j’irais une fois avec toi, rien que pour voir dégringoler ces macarons et pour m’en rassasier. Mais, dis-moi, de grâce, ne se trouve-t-il pas en ces contrées quelqu’une de ces pierres qui ont tant de vertu ? — » À quoi Maso répondit ;