Page:Boccace - Décaméron.djvu/488

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des taons en grandissime quantité, lesquels se posant sur ses chairs fendues, la piquaient si cruellement, que chaque piqûre lui semblait une pointure d’aiguillon ; pour quoi, elle ne cessait de les chasser avec les mains, maudissant la vie, son amant et l’écolier. Étant ainsi molestée, blessée, torturée par la chaleur horrible du soleil, par les mouches et les taons, comme aussi par la faim et plus encore par la soif ; livrée à l’angoisse de mille pensers douloureux, elle se dressa sur ses pieds et se mit à regarder si elle ne verrait pas ou n’entendrait pas quelqu’un s’approcher d’elle, disposée, quoi qu’il lui en dût advenir, à l’appeler et à lui demander secours. Mais sa mauvaise fortune lui avait encore enlevé cette chance. Les laboureurs avaient tous quitté les champs à cause de la chaleur ; ajoutons que ce jour-là, personne n’était venu travailler près de la tour, tous les voisins étant à battre leur blé chez eux ; pour quoi, elle n’entendait rien que les cigales, et ne voyait que l’Arno qui, lui apportant le désir de boire de son eau, n’apaisait point sa soif, mais l’augmentait au contraire. Elle apercevait aussi plus loin des bois ombreux et des maisons où elle aurait bien voulu être, et qui lui étaient également un sujet d’angoisse.

« Que dirons-nous plus de la malheureuse dame ? Le soleil sur sa tête, la chaleur de la terrasse sous ses pieds, les piqûres des mouches et des taons par côté l’avaient tellement rongée de toutes parts, que la pauvre femme qui, la nuit précédente, dissipait les ténèbres par la blancheur de sa peau, était devenue maintenant rouge comme rage, toute zébrée de sang, et aurait paru, à qui aurait pu la voir, la plus vilaine chose du monde. Pendant qu’elle était ainsi, sans espérance et sans conseil, attendant plutôt la mort qu’autre chose, l’écolier, l’heure de none étant passée, se réveilla, et se souvenant de sa dame, il retourna vers la tour pour voir ce qu’il en était d’elle, et envoya manger son serviteur qui était encore à jeun. La dame l’ayant entendu, vint toute faible et succombant sous l’angoisse, s’asseoir sur le bord de la trappe, et se mit à dire en gémissant : « — Rinieri, tu t’es bien vengé outre mesure, car si je t’ai fait geler de nuit dans ma cour, tu m’as de jour fait rôtir sur cette tour, voire brûler, et de plus mourir de faim et de soif ; pour quoi, je te prie, pour l’amour de Dieu seul, de monter ici, et, puisque je n’ai pas le cœur de me donner la mort moi-même, de me la donner toi, car je la désire plus que toute autre chose, tant est grand le tourment que j’éprouve. Et si tu ne veux pas me faire cette grâce, fais-moi apporter au moins un verre d’eau, que je puisse y baigner ma bouche à laquelle mes larmes ne suffisent point, tant est grande la sécheresse et l’ardeur que je ressens. — »