Page:Boccace - Décaméron.djvu/494

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Zeppa étant monté, dit : « — Femme, est-il l’heure de déjeuner ? — » La dame répondit : « — Oui, dans un moment. — » Zeppa dit alors : « — Spinelloccio est allé déjeuner ce matin avec un sien ami et a laissé sa femme seule, mets-toi à la fenêtre et appelle-la ; dis-lui qu’elle vienne déjeuner avec nous. — » La dame, craignant pour elle-même, et pour ce devenue tout à fait obéissante, fit ce que son mari lui ordonnait. La femme de Spinelloccio, après en avoir été bien priée par la femme de Zeppa, se décida à venir en apprenant que son mari ne devait pas déjeuner à la maison. Quand elle fut venue, Zeppa lui faisant de grandes caresses et la prenant amicalement par la main, ordonna doucement à sa femme d’aller à la cuisine, et emmena avec lui sa voisine dans la chambre où, à peine entré, il se retourna et ferma la porte en dedans. Quand la dame vit fermer la porte en dedans, elle dit : « — Eh ! Zeppa, que veut dire ceci ? C’est donc pour cela que vous m’avez fait venir ? Voilà l’amitié que vous portez à Spinelloccio, et la loyale compagnie que vous lui faites ? — » À quoi Zeppa s’était approché de la caisse où était le mari de la dame, et tenant celle-ci dans ses bras, dit : « — Femme, avant de te mettre en colère, écoute ce que je veux te dire : j’ai aimé et j’aime Spinelloccio comme un frère, et hier, bien qu’il ne le sache pas, j’ai trouvé que la confiance que j’avais en lui avait abouti à ceci, à savoir qu’il couche avec ma femme tout comme avec toi. Or, précisément parce que je l’aime, je n’entends pas tirer de lui une autre vengeance que de lui faire la même injure qu’il m’a faite : il a eu ma femme, et j’entends à mon tour t’avoir. Si tu refuses, il faudra certainement que je le prenne céans, et comme je n’entends pas laisser cette offense impunie, je lui ferai un tel jeu, que ni toi ni lui ne serez jamais plus joyeux de votre vie. — »

« La dame, oyant cela, et Zeppa continuant à la presser vivement, finit par le croire et dit : « — Mon cher Zeppa, puisque c’est sur moi que doit retomber cette vengeance, j’en suis contente, pourvu que, après ce que nous allons faire, tu me fasses rester en paix avec ta femme, comme j’entends, nonobstant ce qu’elle m’a fait, lui conserver mon amitié. — » À quoi Zeppa répondit : « — Certainement, je le ferai ; en outre, je te donnerai un rare et beau joyau comme tu n’en as jamais eu. — » Ceci dit, l’ayant prise dans ses bras, il se mit à l’embrasser, l’étendit sur la caisse où était enfermé le mari, et là, il se satisfit tout autant qu’il lui plut avec elle, et elle avec lui.

« Spinelloccio qui était dans la caisse, et qui avait entendu tout ce que Zeppa avait dit, ainsi que la réponse de sa femme, et qui, ensuite avait senti la danse de Trévise qu’on faisait sur sa tête, éprouva un moment une si grande