Page:Boccace - Décaméron.djvu/544

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plaisir qu’il désirait, la quitta pour retourner dormir dans son lit ; en y retournant, il rencontra le berceau, et crut que c’était le lit de l’hôtelier ; pour quoi, ayant poussé un peu plus outre, il alla se coucher auprès de l’hôtelier, croyant être aux côtés d’Adriano, et dit : « — Je puis bien te dire qu’il n’y eut jamais si douce chose que la Niccolosa. Par la corps Dieu ! j’ai eu avec elle le plus grand plaisir que jamais homme ait eu avec une femme. Et je te dis que j’ai fait plus de six lieues depuis que je suis parti d’ici. — » L’hôtelier, entendant ces étranges propos qui ne lui plaisaient guère, se dit tout d’abord à part soi : « — Que diable celui-ci vient-il faire là ? — » Puis, plus irrité que prudent, il dit : « — Pinuccio, tu viens de commettre une grande scélératesse, et je ne sais pourquoi tu m’as fait cela ; mais par la Corps Dieu, tu me le paieras. — » Pinuccio, qui n’était pas l’homme le plus fin du monde, reconnaissant son erreur, n’essaya pas de s’excuser de son mieux, mais il dit : « — Comment te la paierai-je ? Que pourras-tu me faire ? — »

« La femme de l’hôtelier, qui croyait être avec son mari, dit à Adriano : « — Eh ! entends nos hôtes qui ont je ne sais quelle querelle ensemble. — » Adriano répondit en riant : « — Laisse faire ; que Dieu leur donne la male an ; ils ont trop bu hier soir. — » La dame qui croyait que c’était son mari qui allait lui répondre, entendant la voix d’Adriano reconnut sur-le-champ où elle était et avec qui ; pour quoi, en femme avisée, sans dire un mot, elle se leva soudain, et ayant pris le berceau de son petit enfant, profitant de l’obscurité complète qui régnait dans la chambre, elle le porta vers le lit de sa fille, à côté de laquelle elle se coucha. Puis, comme si elle était réveillée par les cris de son mari, elle l’appela et lui demanda ce qu’il avait avec Pinuccio. Le mari répondit : « — N’entends-tu pas ce qu’il dit avoir fait cette nuit à la Niccolosa. — » La dame dit : « — Il ment par la gorge, car je me suis couchée avec elle et je n’ai pu dormir un seul instant ; et toi, tu es une bête de le croire. Vous buvez tellement le soir, que vous rêvez toute la nuit ; vous allez d’un côté et d’autre sans vous en douter, et il vous semble avoir fait merveille. C’est grand dommage que vous ne vous rompiez pas le col ; mais que fait Pinuccio là-bas ? Pourquoi n’est-il pas dans son lit ? — »

« De son côté, Adriano voyant que la dame couvrait sagement sa honte et celle de sa fille, dit : « — Pinuccio, je te l’ai dit cent fois de ne pas t’en aller hors de chez toi ; que ce défaut que tu as de te lever pendant que tu dors, et de raconter comme vraies les choses que tu rêves, te joueront à la fin un mauvais tour ; reviens vers moi ; que Dieu te donne la male nuit ! — » L’hôtelier, entendant ce qu’avait