Page:Boccace - Décaméron.djvu/552

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répondit : « — Je suis de Lajazzo, et de même que tu as un ennui, j’en ai un autre. Je suis riche, jeune, et je dépense mon bien à tenir table ouverte et à faire honneur à mes concitoyens ; et c’est chose neuve et étrange à penser que, malgré tout cela, je ne puisse pas trouver un seul homme qui me veuille du bien. C’est pourquoi je vais où tu vas toi-même, pour demander comment je dois faire pour être aimé. — »

« Les deux compagnons cheminèrent donc ensemble, et arrivés à Jérusalem, ils furent conduits devant Salomon par l’entremise d’un de ses barons. Melisso lui dit brièvement son cas. À quoi Salomon répondit : « — Aime. — » Et cela dit, Melisso fut sur-le-champ reconduit, puis Joseph dit l’affaire pour laquelle il était venu. À quoi Salomon ne fit pas d’autre réponse sinon : « — Va au Pont aux Oies. —  » Là-dessus, Joseph fut également reconduit hors de la présence du roi, et ayant retrouvé Melisso qui l’attendait, il lui dit ce qu’il avait eu comme réponse. Tous deux, pensant aux paroles de Salomon, et ne pouvant en comprendre le sens, ni en tirer profit pour leur affaire, se remirent en route pour s’en retourner, de l’air de gens dont on se serait moqué.

« Après quelques jours de marche, ils arrivèrent à une rivière sur laquelle était un beau pont ; et pour ce qu’en ce moment une longue caravane de mulets, et de chevaux lourdement chargés passait sur le pont, il leur fallut attendre qu’elle fût passée. Quasi tous étaient déjà passés, quand par aventure un mulet vint à prendre ombrage, comme on les voit faire souvent, et ne voulait en aucune façon aller plus avant ; pour quoi un muletier, ayant pris une trique, se mit à le frapper tout d’abord assez doucement pour le faire passer. Mais le mulet, allant tantôt à droite, tantôt à gauche, traversait le chemin, revenait parfois en arrière, mais ne voulait absolument point passer. Ce que voyant, le muletier, fortement irrité, se mit à lui donner avec sa trique les meilleurs coups du monde, tantôt sur la tête, tantôt sur les flancs, tantôt sur la croupe ; mais rien n’y faisait. Pour quoi, Melisso et Joseph qui regardaient en attendant, dirent à plusieurs reprises au muletier : « — Eh ! mauvais, que vas-tu faire ? veux-tu le tuer ? Pourquoi n’essaies-tu pas de le traiter doucement ? Il marcherait plus volontiers qu’en le bâtonnant comme tu fais. — » Le muletier leur répondit : « — Vous connaissez vos chevaux et moi je connais mon mulet ; laissez-moi faire. — » Cela dit, il se remit à le battre, et il lui en donna tant de tous les côtés que le mulet passa, de sorte que le muletier vint à bout de ce qu’il voulait.

« Les deux jeunes gens étant sur le point de s’éloigner, Joseph demanda à un bon homme qui était assis à l’entrée du