Page:Boccace - Décaméron.djvu/79

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

« Ce que voyant, Stecchi et Marchese commencèrent à se dire entre eux que la chose allait mal, et craignant pour eux-mêmes, ils hésitaient à le secourir. Bien plus, ils criaient avec les autres qu’il fallait le mettre à mort, songeant néanmoins comment ils pourraient le tirer des mains du peuple qui l’aurait certainement tué, si une idée n’était venue subitement à Marchese. Tous les familiers de la Seigneurie étant dehors, Marchese, le plus vite qu’il put, s’en alla trouver celui qui remplaçait le podestat et dit : « — Justice, au nom de Dieu ! il y a là-bas un méchant homme qui m’a volé ma bourse avec cent florins d’or. Je vous prie de le faire prendre, afin que je retrouve mon bien. — » Dès qu’on eut entendu sa plainte, une douzaine de sergents coururent à l’endroit où le malheureux Martellino était peigné sans peigne ; avec la plus grande peine du monde pour percer la foule, ils l’arrachèrent de ses mains, tout rompu et tout moulu, et le conduisirent au palais. Un grand nombre de gens l’y suivirent, prétendant qu’il s’était joué d’eux, et ayant appris qu’il avait été arrêté comme coupeur de bourses, il leur parut qu’il n’y avait pas de meilleure occasion pour se venger de lui, de sorte que chacun se mit à dire aussi qu’il lui avait enlevé sa bourse. Ce qu’entendant, le juge du podestat, qui était un homme brutal, le fit prestement mener en un lieu sûr et se mit à l’interroger. Mais Martellino répondit en plaisantant, tenant cette accusation pour peu sérieuse ; de quoi le juge courroucé le fit lier à l’estrapade où il le fit traiter de la bonne manière, afin de lui faire avouer ce qu’on lui reprochait et le faire ensuite pendre par la gorge. Quand on l’eut reposé par terre, le juge, lui demandant de nouveau si ce qu’on avait dit contre lui était vrai, Martellino, voyant qu’il ne lui servait à rien de dire non, dit : « — Monseigneur, je suis prêt à confesser la vérité, mais faites dire d’abord à chacun de ceux qui m’accusent quand et où je lui ai coupé sa bourse, et je vous dirai ce que j’ai fait et ce que je n’ai pas fait. — » Le juge dit : « — Ceci me plaît. — » Et en ayant fait appeler quelques-uns, l’un dit que sa bourse lui avait été coupée huit jours auparavant, l’autre six, un autre quatre, et quelques-uns le jour même. Ce qu’entendant, Martellino dit : « — Monseigneur, ils mentent tous par la gorge. Mais la preuve que moi je vous ai dit la vérité, c’est que je ne suis jamais venu en cette ville, sinon depuis peu d’heures. Et à peine y ai-je été arrivé, que je suis allé, pour ma mésaventure, voir le corps du saint, où j’ai été coiffé comme vous pouvez voir. Et vous pouvez vous assurer de la vérité de ce que je dis, par l’officier de la Seigneurie qui préside à l’arrivée des étrangers, ainsi que par son livre, et enfin par mon hôtelier. Pour quoi, si vous trouvez que tout s’est passé comme