Page:Boccace - Décaméron.djvu/84

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« La dame, après s’être reposée un peu, fit faire un grand feu dans une de ses chambres, s’y installa et demanda des nouvelles du brave homme. À quoi la servante répondit : « — Madame, il s’est habillé ; c’est un bel homme, et il a tout l’air d’être une personne de bien et de bonnes manières. — » « — Va donc — dit la dame — appelle-le et dis-lui qu’il vienne ici près du feu où il soupera, car je sais qu’il n’a pas soupé. — » Renaud, entré dans la chambre et voyant la dame, la salua respectueusement et lui rendit grâces de son mieux pour sa bonne action. La dame, l’ayant vu et entendu, et le trouvant tel que la servante avait dit, l’accueillit d’un air joyeux. Elle le fit asseoir familièrement devant le feu à côté d’elle et l’interrogea sur l’accident qui l’avait amené là. Sur quoi, Renauld lui conta tout par ordre. La dame avait, par suite de l’arrivée à Castel-Guiglielmo du domestique de Renauld, entendu parler de cette affaire, ce qui fit qu’elle ajouta foi à ce qu’il lui disait ; elle lui apprit à son tour ce qu’elle savait au sujet de son domestique, et où il pourrait facilement le trouver le lendemain matin. Puis, la table mise, Renauld, sur les instances de la dame, et après qu’ils se furent tous deux lavé les mains, se mit à souper. Il était grand de sa personne, beau et agréable de figure, et de manières gracieuses et avenantes ; c’était un homme d’âge moyen. La veuve l’ayant regardé à plusieurs reprises, le trouva fort à son goût, et l’appétit de la concupiscence se trouvant réveillé en elle par l’idée que le marquis devait venir coucher avec elle, elle se mit en tête d’en devenir amoureuse.

« Donc, après le souper, s’étant levée de table, elle prit conseil de sa servante pour savoir s’il ne lui semblerait pas juste que, puisque le marquis s’était moqué d’elle, elle usât du bien que la fortune lui envoyait. La servante, voyant le désir de la dame, l’engagea le plus qu’elle put et qu’elle sut à contenter ce désir. Quant à la dame, retournée près du feu où elle avait laissé Renauld seul, elle se mit à le regarder amoureusement et lui dit : « — Eh ! Renauld, pourquoi êtes-vous si pensif ? Ne croyez-vous pas que vous pourrez être dédommagé d’un cheval et de quelques vêtements que vous avez perdus ? Rassurez-vous et tenez-vous en joie ; vous êtes chez vous ; même, je veux vous dire davantage, car vous voyant sur le dos ces habits qui appartiennent à mon défunt mari, il m’a semblé que c’était lui, et il m’est venu ce soir cent fois le désir de vous accoler et baiser ; et si je n’avais craint de vous déplaire, je l’eusse certainement fait. — » Renauld, entendant ces paroles et voyant le feu des regards de la dame, en homme qui n’est point sot s’avança vers elle les bras ouverts et lui dit : « — Madame, quand je songe que c’est grâce à vous que je puis dire