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PRÉFACE SUR LES
SIX LIVRES DE LA
RÉPUBLIQUE DE JEHAN BODIN.

À MONSEIGNEUR DU FAUR SEIGNEUR

de Pibrac Conseiller du Roy en son privé Conseil.



P uisque la conservation des Royaumes et Empires, et de tous peuples dépend, après Dieu, des bons Princes et sages Gouverneurs, c’est bien raison (Monseigneur) 
que chacun leur assiste, soit à maintenir leur puissance, 
 soit à exécuter leurs saintes lois, soit à ployer leurs sujets par dits et par écrits, qui puissent réussir au bien
 commun de tous en général, et de chacun en particulier. 
Et si cela est toujours honnête, et beau à toute personne, 
maintenant il nous est nécessaire plus que jamais. Car 
pendant que le navire de notre République avait en pou
pe le vent agréable, on ne pensait qu’à jouir d’un repos très-haut fermé, et assuré, 
 avec toutes les farces, mommeries, et mascarades que peuvent imaginer les hommes
 fondus en toutes sortes de plaisirs. Mais depuis que l’orage impétueux a tourmenté le
 vaisseau de notre République, avec telle violence que le Patron même, et les pilo
tes sont comme las, et recrus d’un travail continuel, il faut bien que les passagers y
 prêtent la main, qui aux voiles, qui aux cordages, qui à l’ancre : et ceux à qui la
 force manquera, qu’ils donnent quelque bon avertissement, ou qu’ils présentent leurs
 vœux et prières à celui qui peut commander aux vents, et apaiser la tempête, 
 puisque tous ensemble courent un même danger. Ce qu’il ne faut pas attendre des en
nemis qui sont en terre ferme, prenant un singulier plaisir au naufrage de notre Ré
publique, pour courir au bris, et qui jadis se sont enrichis du jet des choses les plus
 précieuses, qu’on fait incessamment pour sauver ce Royaume : lequel autrefois a eu
 tout l’Empire d’Almaigne, les Royaumes d’Hongrie, d’Espaigne, et d’Italie, et tout
 le pourpris des Gaules jusqu’au Rhin sous l’obéissance de ses lois : et ores qu’il est 
réduit au petit pied, ce peu qui reste est exposé en proie, par les siens mêmes, et au dan
ger d’être froissé brisé entre les roches périlleuses, si on ne met peine de jeter les ancres
 sacrées, afin d’aborder, après l’orage, au port de salut, qui nous est montré du Ciel, avec
 bonne espérance d’y parvenir, si on veut y aspirer. C’est pourquoi de ma part, ne pouvant