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SATIRE VI.

Tous les jours je me couche avecque le soleil :
Mais en ma chambre à peine ai-je éteint la lumière,
Qu’il ne m’est plus permis de fermer la paupière,
Des filous effrontés, d’un coup de pistolet,
Ébranlent ma fenêtre, et percent mon volet ;
J’entends crier partout : Au meurtre ! on m’assassine !
Ou : Le feu vient de prendre à la maison voisine !
Tremblant et demi-mort, je me lève à ce bruit,
Et souvent sans pourpoint je cours toute la nuit.
Car le feu, dont la flamme en ondes se déploie,
Fait de notre quartier une seconde Troie,
Où maint Grec affamé, maint avide Argien,
Au travers des charbons va piller le Troyen.
Enfin sous mille crocs la maison abîmée
Entraîne aussi le feu qui se perd en fumée.
EnJe me retire donc, encor pâle d’effroi :
Mais le jour est venu quand je rentre chez moi.
Je fais pour reposer un effort inutile :
Ce n’est qu’à prix d’argent qu’on dort en cette ville.
Il faudroit, dans l’enclos d’un vaste logement,
Avoir loin de la rue un autre appartement.
AvParis est pour un riche un pays de cocagne :
Sans sortir de la ville, il trouve la campagne :
Il peut dans son jardin, tout peuplé d’arbres verts,
Recéler le printemps au milieu des hivers ;
Et, foulant le parfum de ses plantes fleuries,
Aller entretenir ses douces rêveries.
AlMais moi, grâce au destin, qui n’ai ni feu ni lieu,
Je me loge où je puis, et comme il plaît à Dieu.