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BOILEAU.

Fait, même à ses amans, trop foibles d’estomac,
Redouter ses baisers pleins d’ail et de tabac ?
T’ai-je encore décrit la dame brelandière
Qui des joueurs chez soi se fait cabaretière[1],
Et souffre des affronts que ne souffriroit pas
L’hôtesse d’une auberge à dix sous par repas ?
Ai-je offert à tes yeux ces tristes Tisiphones,
Ces monstres pleins d’un fiel que n’ont point les lionnes.
Qui, prenant en dégoût les fruits nés de leur flanc,
S’irritent sans raison contre leur propre sang ;
Toujours en des fureurs que les plaintes aigrissent,
Battent dans leurs enfans l’époux qu’elles haïssent ;
Et font de leur maison, digne de Phalaris[2],
Un séjour de douleur, de larmes et de cris ?
Enfin t’ai-je dépeint la superstitieuse,
La pédante au ton fier, la bourgeoise ennuyeuse,
Celle qui de son chat fait son seul entretien,
Celle qui toujours parle et ne dit jamais rien ?
Il en est des milliers ; mais ma bouche enfin lasse
Des trois quarts pour le moins veut bien te faire grâce.
DeJ’entends, c’est pousser loin la modération.
Ah ! finissez, dis-tu, la déclamation.
Pensez-vous qu’ébloui de vos vaines paroles,
J’ignore qu’en effet tous ces discours frivoles
Ne sont qu’un badinage, un simple jeu d’esprit
D’un censeur dans le fond qui folâtre et qui rit,
Plein du même projet qui vous vint dans la tête
Quand vous plaçâtes l’homme au-dessous de la bête ?
Mais enfin vous et moi c’est assez badiner,
Il est temps de conclure ; et, pour tout terminer,
Je ne dirai qu’un mot. La fille qui m’enchante,

  1. Il y a des femmes qui donnent à souper aux joueurs, de peur de ne les plus revoir s’ils sortaient de leurs maisons.
  2. Tyran en Sicile très-cruel.