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SATIRE XI.

Et la vanité brille en toutes ses bassesses.
Le naturel toujours sort et sait se montrer :
Vainement on l’arrête, on le force à rentrer ;
Il rompt tout, perce tout, et trouve enfin passage.
IlMais loin de mon projet je sens que je m’engage.
Revenons de ce pas à mon texte égaré.
L’honneur partout, disois-je, est du monde admiré ;
Mais l’honneur en effet qu’il faut que l’on admire,
Quel est-il, Valincour ? Pourras-tu me le dire ?
L’ambitieux le met souvent à tout brûler ;
L’avare, à voir chez lui le Pactole[1] rouler ;
Un faux brave, à vanter sa prouesse frivole ;
Un vrai fourbe, à jamais ne garder sa parole ;
Ce poëte, a noircir d’insipides papiers ;
Ce marquis, à savoir frauder ses créanciers :
Un libertin, à rompre et jeûnes et carême ;
Un fou perdu d’honneur, à braver l’honneur même.
L’un d’eux a-t-il raison ? Qui pourroit le penser ?
Qu’est-ce donc que l’honneur que tout doit embrasser ?
Est-ce de voir, dis-moi, vanter notre éloquence,
D’exceller en courage, en adresse, en prudence ;
De voir à notre aspect tout trembler sous les cieux ;
De posséder enfin mille dons précieux ?
Mais avec tous ces dons de l’esprit et de l’âme
Un roi même souvent peut n’être qu’un infâme,
Qu’un Hérode, un Tibère effroyable à nommer.
Où donc est cet honneur qui seul doit nous charmer ?
Quoi qu’en ses beaux discours Saint-Évvremont[2] nous prône,

  1. Petite rivière de Lydie qui sortait du mont Tmolus, passait à Sardes et tombait dans l’Hermus. Elle charriait beaucoup de paillettes d’or, et, suivant la fable, elle possédait cette propriété depuis que Midas, qui transformait tout en or, s’était baigné dans ses eaux.
  2. Saint-Évremont a fait une dissertation dans laquelle il donne la préférence à Pétrone sur Sénèque.