Page:Boileau - Œuvres poétiques, édition 1872.djvu/238

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L’Évangile à l’esprit n’offre de tous côtés
Que pénitence à faire et tourmens mérités ;
Et de vos fictions le mélange coupable
Même à ses vérités donne l’air de la fable.
Eh ! quel objet enfin à présenter aux yeux
Que le diable toujours hurlant contre les cieux,
Qui de votre héros veut rabaisser la gloire,
Et souvent avec Dieu balance la victoire[1] !
EtLe Tasse, dira-t-on, l’a fait avec succès.
Je ne veux point ici lui faire son procès :
Mais, quoi que notre siècle à sa gloire publie,
Il n’eût point de son livre illustré l’Italie,
Si son sage héros, toujours en oraison ;
N’eût fait que mettre enfin Satan à la raison ;
Et si Renaud, Argant, Tancrède et sa maîtresse
N’eussent de son sujet égayé la tristesse.
N’Ce n’est pas que j’approuve, en un sujet chrétien,
Un auteur follement idolâtre et païen[2].
Mais, dans une profane et riante peinture,
De n’oser de la fable employer la figure ;
De chasser les Tritons de l’empire des eaux ;
D’ôter à Pan sa flûte, aux Parques leurs ciseaux ;
D’empêcher que Caron, dans la fatale barque,
Ainsi que le berger ne passe le monarque :
C’est d’un scrupule vain s’alarmer sottement,
Et vouloir aux lecteurs plaire sans agrément.
Bientôt ils défendront de peindre la Prudence,
De donner à Thémis ni bandeau ni balance,
De figurer aux yeux la Guerre au front d’airain,
Ou le temps qui s’enfuit une horloge à la main ;
Et partout des discours, comme une idolâtrie,

  1. Boileau ne connoissait pas le Paradis perdu de Milton, sans cela il aurait plus volontiers accueilli le merveilleux dans l’épopée.
  2. Voyez l’Arioste. (B.)