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BOILEAU.

Assez, d’autres, sans moi, d’un style moins timide,
Suivront au champ de Mars ton courage rapide ;
Iront de ta valeur effrayer l’univers,
Et camper devant Dôle au milieu des hivers[1].
Pour moi, loin des combats, sur un ton moins terrible,
Je dirai les exploits de ton règne paisible :
Je peindrai les plaisirs en foule renaissans[2];
Les oppresseurs du peuple à leur tour gémissans[3].
On verra par quels soins ta sage prévoyance
Au fort de la famine entretint l’abondance[4] ;
On verra les abus par ta main réformés,
La licence et l’orgueil en tous lieux réprimés,
Du débris des traitans ton épargne grossie,
Des subsides affreux la rigueur adoucie ;
Le soldat, dans la paix, sage et laborieux ;
Nos artisans grossiers rendus industrieux ;
Et nos voisins frustrés de ces tributs serviles
Que payoit à leur art le luxe de nos villes.
Tantôt je tracerai tes pompeux bâtimens,
Du loisir d’un héros nobles amusemens.
J’entends déjà frémir les deux mers étonnées
De voir leurs flots unis aux pieds des Pyrénées.
Déjà de tous côtés la chicane aux abois
S’enfuit au seul aspect de tes nouvelles lois.
Oh ! que ta main par là va sauver de pupilles !

  1. Louis XIV venait de conquérir la Franche-Comté en plein hiver, et cette campagne n’avait pas duré plus d’un mois, car parti le 2 février le roi était de retour à Versailles le 28 du même mois.
  2. Les fêtes, les ballets, les courses de bagues que Louis XIV donna à Versailles sous le nom de plaisirs de l’Ile enchantée. Ce fut pendant ces fêtes que Molière joua à la cour les trois premiers actes du Tartuffe.
  3. Fouquet, arrêté et emprisonné en 1661.
  4. En 1662 Colbert fit venir de la Russie des quantités considérables de blé qui atténuèrent les effets de deux mauvaises récoltes et prévinrent ainsi la famine.