Page:Boileau - Œuvres poétiques, édition 1872.djvu/316

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Loin de sentir mes vers avec eux redoubler,
Quelquefois, le dirai-je ? un remords légitime,
Au fort de mon ardeur, vient refroidir ma rime.
Il me semble, grand roi, dans mes nouveaux écrits,
Que mon encens payé n’est plus du même prix.
J’ai peur que l’univers, qui sait ma récompense,
N’impute mes transports à ma reconnoissance ;
Et que par tes présens mon vers décrédité
N’ait moins de poids pour toi dans la postérité.
N’Toutefois je sais vaincre un remords qui te blesse.
Si tout ce qui reçoit des fruits de ta largesse
À peindre tes exploits ne doit point s’engager,
Qui d’un si juste soin se pourra donc charger ?
Ah ! plutôt de nos sons redoublons l’harmonie :
Le zèle à mon esprit tiendra lieu de génie.
Horace tant de fois dans mes vers imité,
De vapeurs en son temps, comme moi tourmenté,
Pour amortir le feu de sa rate indocile
Dans l’encre quelquefois sut égayer sa bile.
Mais de la même main qui peignit Tullius[1],
Qui d’affronts immortels couvrit Tigellius[2],
Il sut fléchir Glycère, il sut vanter Auguste,
Et marquer sur la lyre une cadence juste.
Suivons les pas fameux d’un si noble écrivain.
À ces mots, quelquefois prenant la lyre en main,
Au récit que pour toi je suis près d’entreprendre,
Je crois voir les rochers accourir pour m’entendre ;
Et déjà mon vers coule à flots précipités,

  1. Sénateur romain. César l’exclut du sénat ; mais il y rentra après sa mort.
  2. Fameux musicien, le plus estimé de son temps et fort chéri d’Auguste. Il avait la manie de ne pas chanter quand on l’en priait, et ne s’arrêtait plus quand on ne lui demandait rien. Horace ajoute qu’il menait un train magnifique et que c’était un bourreau d’argent.