Page:Boileau - Œuvres poétiques, édition 1872.djvu/368

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À l’aspect imprévu de leur foule agréable,
Le prélat radouci veut se lever de table :
La couleur lui renaît, sa voix change de ton ;
Il fait par Gilotin rapporter un jambon.
Lui-même le premier, pour honorer la troupe,
D’un vin pur et vermeil il fait remplir sa coupe ;
Il l’avale d’un trait, et chacun l’imitant,
La cruche au large ventre est vide en un instant.
Sitôt que du nectar la troupe est abreuvée,
On dessert : et soudain, la nappe étant levée,
Le prélat, d’une voix conforme à son malheur,
Leur confie en ces mots sa trop juste douleur :
Le« Illustres compagnons de mes longues fatigues,
Qui m’avez soutenu par vos pieuses ligues,
Et par qui, maître enfin d’un chapitre insensé,
Seul à Magnificat je me vois encensé ;
Souffrirez-vous toujours qu’un orgueilleux m’outrage ;
Que le chantre à vos yeux détruise votre ouvrage,
Usurpe tous mes droits, et s’égalant à moi,
Donne à votre lutrin et le ton et la loi ?
Ce matin même encor, ce n’est point un mensonge,
Une divinité me l’a fait voir en songe ;
L’insolent, s’emparant du fruit de mes travaux,
A prononcé pour moi le Benedicat vos !
Oui, pour mieux m’égorger, il prend mes propres armes. »
OuLe prélat à ces mots verse un torrent de larmes.
Il veut, mais vainement, poursuivre son discours :
Ses sanglots redoublés en arrêtent le cours.
Le zélé Gilotin, qui prend part à sa gloire,
Pour lui rendre la voix fait rapporter à boire ;
Quand Sidrac[1], à qui l’âge allonge le chemin,

  1. Sidrac est le vrai nom d’un vieux chapelain de la Sainte-Chapelle.