Page:Boileau - Œuvres poétiques, édition 1872.djvu/371

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Cependant le prélat, l’œil au ciel, la main nue,
Bénit trois fois les noms, et trois fois les remue.
Il tourne le bonnet : l’enfant tire ; et Brontin
Est le premier des noms qu’apporte le destin.
Le prélat en conçoit un favorable augure,
Et ce nom dans la troupe excite un doux murmure.
On se tait ; et bientôt on voit paroître au jour
Le nom, le fameux nom du perruquier l’Amour[1].
Ce nouvel Adonis, à la blonde crinière,
Est l’unique souci d’Anne sa perruquière.
Ils s’adorent l’un l’autre ; et ce couple charmant
S’unit longtemps, dit-on, avant le sacrement ;
Mais, depuis trois moissons, à leur saint assemblage,
L’official a joint le nom de mariage.
Ce perruquier superbe est l’effroi du quartier
Et son courage est peint sur son visage altier.
Un des noms reste encore, et le prélat par grâce
Une dernière fois les brouille et les ressasse.
Chacun croit que son nom est le dernier des trois.
Mais que ne dis-tu point, ô puissant porte-croix,
Boirude[2], sacristain, cher appui de ton maître,
Lorsqu’aux yeux du prélat tu vis ton nom paraître !
On dit que ton front jaune, et ton teint sans couleur,
Perdit en ce moment son antique pâleur ;
Et que ton corps goutteux, plein d’une ardeur guerrière,
Pour sauter au plancher fit deux pas en arrière.
Chacun bénit tout haut l’arbitre des humains,

  1. Molière en a peint le caractère dans le Médecin malgré lui. Ce héros comique était d’abord un horloger. Boileau avait pris ce biais pour déguiser un peu le personnage réel qu’il voulait peindre, et qui était le perruquier Didier L’Amour, fort connu dans la cour du Palais, où il tenait sa boutique.
  2. Boirude pour François Sirude, sacristain, puis vicaire de la Sainte-Chapelle : il portait la croix ou la bannière à la procession.