Page:Boileau - Œuvres poétiques, édition 1872.djvu/397

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C’est là mon sentiment. À quoi bon tant d’apprêts ?
Du reste, déjeunons, messieurs, et buvons frais. »
DuCe discours, que soutient l’embonpoint du visage,
Rétablit l’appétit, réchauffe le courage ;
Mais le chantre surtout en paroit rassuré.
« Oui, dit-il, le pupitre a déjà trop duré :
Allons sur sa ruine assurer ma vengeance.
Donnons à ce grand œuvre une heure d’abstinence ;
Et qu’au retour tantôt un ample déjeuner
Longtemps nous tienne à table, et s’unisse au dîner. »
LoAussitôt il se lève, et la troupe fidèle
Par ces mots attirans sent redoubler son zèle.
Ils marchent droit au chœur d’un pas audacieux,
Et bientôt le lutrin se fait voir à leurs yeux.
À ce terrible objet aucun d’eux ne consulte :
Sur l’ennemi commun ils fondent en tumulte ;
Ils sapent le pivot, qui se défend en vain ;
Chacun sur lui d’un coup veut honorer sa main.
Enfin sous tant d’efforts la machine succombe,
Et son corps entr’ouvert chancelle, éclate et tombe.
Tel sur les monts glacés des farouches Gélons[1]
Tombe un chêne battu des voisins aquilons ;
Ou tel, abandonné de ses poutres usées,
Fond enfin un vieux toit sous ses tuiles brisées.
La masse est emportée, et ses ais arrachés
Sont aux yeux des mortels chez le chantre cachés.

  1. Peuples de Sarmatie, voisins du Borysthène.