Page:Boileau - Œuvres poétiques, édition 1872.djvu/88

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Va chercher un repos qu’il ne trouva jamais ;
Sans attendre qu’ici la justice ennemie
L’enferme en un cachot le reste de sa vie,
Ou que d’un bonnet vert[1] le salutaire affront
Flétrisse les lauriers qui lui couvrent le front.
FléMais le jour qu’il partit, plus défait et plus blême
Que n’est un pénitent sur la fin d’un carême,
La colère dans l’âme et le feu dans les yeux,
Il distilla sa rage en ces tristes adieux :
Il « Puisqu’en ce lieu, jadis aux Muses si commode.
Le mérite et l’esprit ne sont plus à la mode ;
Qu’un poëte, dit-il, s’y voit maudit de Dieu,
Et qu’ici la vertu n’a plus ni feu ni lieu,
Allons du moins chercher quelque antre ou quelque roche
D’où jamais ni l’huissier ni le sergent n’approche :
Et, sans lasser le ciel par des vœux impuissans,
Mettons-nous à l’abri des injures du temps,
Tandis que, libre encor malgré les destinées,
Mon corps n’est point courbé sous le poids des années.
Qu’on ne voit point mes pas sous l’âge chanceler,
Et qu’il reste à la Parque encor de quoi filer :
C’est là dans mon malheur le seul conseil à suivre.
Que George[2] vive ici, puisque George y sait vivre,
Qu’un million comptant, par ses fourbes acquis,
De clerc, jadis laquais, a fait comte et marquis ;
Que Jaquin vive ici, dont l’adresse funeste
A plus causé de maux que la guerre et la peste,
Qui de ses revenus écrits par alphabet

  1. Au temps de Boileau les débiteurs qui avaient fait faillite ne pouvaient sortir que revêtus d’un bonnet vert, marque infamante destinée à prémunir le public contre eux.
  2. George, pour Gorge, fameux traitant qui acheta le comté de Meillan et le marquisat d’Entragues, et dont le fils fut créé duc de Phalaris par le pape.