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J’envie, en écrivant, le sort, de Pelletier[1].
J’eBienheureux Scudéri, dont la fertile plume
Peut tous les mois sans peine enfanter un volume ?
Tes écrits, il est vrai, sans art et languissans,
Semblent être formés en dépit du bon sens,
Mais ils trouvent pourtant, quoi qu’on en puisse dire,
Un marchand pour les vendre, et des sots pour les lire ;
Et quand la rime enfin se trouve au bout des vers,
Qu’importe que le reste y soit mis de travers ?
Malheureux mille fois celui dont la manie
Veut aux règles de l’art asservir son génie !
Un sot, en écrivant, fait tout avec plaisir.
Il n’a point en ses vers l’embarras de choisir ;
Et, toujours amoureux de ce qu’il vient d’écrire,
Ravi d’étonnement, en soi-même il s’admire.
Mais un esprit sublime en vain veut s’élever
À ce degré parfait qu’il tâche de trouver ;
Et, toujours mécontent de ce qu’il vient de faire,
Il plaît à tout le monde, et ne sauroit se plaire[2] ;
Et tel dont en tous lieux chacun vante l’esprit
Voudroit pour son repos n’avoir jamais écrit.
VoToi donc qui vois les maux où ma muse s’abîme.
De grâce, enseigne-moi l’art de trouver la rime :
Ou, puisque enfin tes soins y seroient superflus,
Molière, enseigne-moi l’art de ne rimer plus.

  1. Pelletier, poëte du dernier ordre, ne passait pas de jours sans produire un sonnet : Il prit ce trait pour un éloge, et fit imprimer dans ses propres ouvrages la satire de Boileau.
  2. Molière, à la lecture de ce vers, s’écria que c’était la plus belle vérité qu’il eût jamais entendue.